MPD Psycho
6.8
MPD Psycho

Manga de Eiji Ōtsuka et Sho-u Tajima (1996)

C'était un manga qui m'apparaissait taillé sur mesure pour convenir à ma psyché. Celui d'où émanait un sentiment planant lourd, mais pourtant éthéré, où l'angoisse banale se conjuguait harmonieusement au sordide de l'esprit humain. D'un esprit si humain qu'il en était justement terrifiant.
Comme un gant que ça m'allait. Du velours pour l'âme et l'esprit. Mais un velours qui, semble-t-il, était trop précieux pour résister aux aléas du temps. Il se sera détérioré ce gant-là et il ne m'aura couvert la main que bien peu de temps. Trop peu en tout cas pour qu'il me manque. Suffisamment toutefois pour qu'il me déçoive.


MPD Psycho aurait pu être une de ces gemmes, la seule en réalité, capable de forer dans l'insondable rien que pour prospecter des ténèbres profondément enfouies dans la psyché humaine. Des monstres humains perclus dans la cruauté anodine des jours sombres qui, sous des contours justement encrés, n'en finiraient jamais. Jamais, cependant, aura connu un terme prématuré. Ça a voulu trop bien faire sans jamais se rendre compte que ce qui s'écrivait était bien plus qu'assez pour l'œil et pour le cœur. C'était une merveille sur-mesure et on s'est pourtant dit qu'il ferait bon rajouter une retouche. Comme effrayé des propres turpitudes macabres de son originalité créatrice, Eiji Otsuka se sera défié de son propre génie pour le banaliser et donc, l'avilir en conséquence.


MPD Psycho aurait dû se contenter de dire plutôt que de chercher à raconter. L'histoire a tué le principe. Mais, me dira-t-on, aucune œuvre ne se repose sur un concept seul. Une idée exploitée à l'infini, en prenant soin de négliger son récit en parallèle, cela, en tout état de cause, ne pourrait que provoquer sa perte. N'est-ce pas ?
Et à cette injonction dont je me fais ici porte-parole et contradicteur je réponds... vraiment ?


Enchaîner à l'envi les cas comme ceux présentés les premiers volumes eut été le sésame vers la postérité. Pas celle qui se vend, ô non hélas, mais celle qui se retient. Plutôt celle qui, en ne rencontrant qu'un public de niche, s'en remet à ses bons soins pour soigner sa légende. Un manga pareil, ravissant de répugnance, c'est ce temple perdu au fond d'une forêt impénétrable et lugubre que seuls les plus hardis pourraient avoir le droit de contempler. Si, MDP Psycho n'aurait, du fait de son originalité, jamais pu devenir un succès plus considérable qu'il ne l'est déjà (tout de même), il aurait pu au moins se valoir comme la valeur sûre des initiés, celle qu'on ne recommande qu'à ceux qui sont dignes de la lire. Un mythe imbibé d'encre et de génie atroce.


Avant d'être ce qu'il est devenu, MDP Psycho a toutefois été. Et cela se veut un incommensurable mérite. Car la performance, quand on s'en rend spectateur, épate et fascine. Oui, ce premier chapitre était aussi intrigant que confondant ; messieurs Otsuka et Tajima, à n'en point douter, savaient ce qu'ils faisaient en le rédigeant. Quand on verse de la nitroglycérine pure, même si on le fait de manière décontractée, on ne peut avoir que dans l'idée que cela provoquera une réaction bien définie.


À louer Eiji Otsuka autant que je le voue aux gémonies pour avoir fait naître un brasier dans mon cœur qu'il aura finalement éteint vulgairement en pissant dessus, j'en oublierais son comparse. L'aventure s'est faite à deux. Il faut au moins quatre bras pour porter une telle densité créatrice - du moins à ses débuts. Sho-u Tajima nous aura régalé lui aussi. Je le tiens pour complice involontaire plus que comme co-responsable de la déception qui suivra car il s'en sera tenu aux dessins seulement. C'est grand crime que de finalement avoir cantonné son trait à du banal, à du commun ; à du populaire.


Parce que Sho-u Tajima, c'est ce pinceau qui sublime et rendrait même attractif l'enfer. Ce que le manga connaît de lugubre au regard des scarifications corporelles d'usage qui, pour beaucoup, auront contribué à mon bonheur, il l'encense en silence par le dessin. Le gore, ici très discret, est fascinant. Il ne rebute pas et pourtant, il devrait.
On se plaît à être malsain - je n'ai aucune mérite en ce qui me concerne - à applaudir des yeux une merveille d'inhumanité sophistiquée, presque élégante.


Les dessins ne payent pas mine à l'exception de celle du crayon et sont le plus souvent très largement épurés. Un style qui rappelle un Shinobu Kaitani moins fonctionnel et plus artistique. Les traits, épurés, sont dégagés sans toutefois se vouloir trop lisses ou féminins comme cela se sera pratiqué chez CLAMP. L'absence de décors ici n'appelle pas au reproche, bien au contraire ; le rendu graphique n'en est que plus glacial.


Je multiplie les louanges sur son compte à ce sentiment macabre plus tôt évoqué, alors autant le baptiser, car partout où je le retrouve, il fait généralement chavirer mon âme. Ce sentiment, ce serait celui de la frénésie douce du désespoir haletant ; d'une horreur commune qui se dépersonnalise tout en continuant de s'incarner en silence. C'est un sentiment qui, même, parfois peut s'exprimer joyeusement. Et on a beau avoir des facilités avec les mots, ceux-là sont durs à combiner pour mettre une étiquette sur ce registre lyrique. Un registre qui tient autant à l'horrifique et au nauséeux qu'il se rapporte à la fois au commun et à ce qui se fait de plus pur. Une harmonie contradictoire de la sauvagerie et du raffinement. Oui, MDP Psycho est de ces autres œuvres que j'aime tant, pour la plupart, ce sont celles qui s'illustrent en faisant ressortir le raffinement dans la sauvagerie. Le dire, l'écrire, c'est au moins délimiter le concept.


Et cet univers, glauque à souhait, ne se voit jamais forcer la main par la scénographie. Tout ce qu'il y a d'infect - et il y a matière - nous apparait comme naturel. Il n'y a pas de sensationnalisme à l'œuvre, on ne force pas le gore, on le présente paisiblement, comme une pièce de musée qu'on scrute attentif. Le premier tueur en série arrêté aura eu tôt fait de convaincre du bienfondé d'une lecture plus approfondie de MPD Psyco. La vitrine, étincelante, ne pouvait laisser présager que le meilleur. N'aurait dû contenir que le meilleur.


La banalité du mal, c'est agréable à constater et certes difficile à vivre. Mais nous n'en sommes alors ici que de simples spectateurs. Et du spectacle délicat qui s'agence, on en retire quelque chose de fascinant, à la fois planant et scabreux, comme une silencieuse vivisection de laquelle on ne saurait décemment détourner le regard. Ce qui serait alors un abominable gâchis.


Mais... à ces égards précédemment formulés, le personnage de Miwa, comme un chien galeux dans un jeu de quilles, s'accepte comme un assaisonnement bien mal assorti au plat qu'on nous sert. Quand on s'apprête à servir le contenu du Graal, la moindre des choses suppose que l'on s'abstienne d'y verser un quelconque édulcorant.


MPD Psycho ressemble à ce que xxxHolic aurait pu être si Hannibal Lecter s'était substitué à CLAMP pour l'écriture. Le pendant inverse d'une féérie surnaturelle sévissant dans le commun, se voulant à la fois lancinante dans l'incongru et qui, peu à peu, paraîtra tenir du funeste quotidien d'un univers dont nous serons bientôt partie intégrante à force nous laisser davantage happer par la lecture.
Parce que de cette lecture, on y retrouvera des cas d'homicides aussi grisants que mémorables. Un délice pour qui aime les belles choses de l'horreur sans fantasme ; du réel poussé à bout et de la sociopathie tranquille de tous les instants. Il y a là de quoi susciter des vocations de tueur en série. Moi-même, ainsi enjaillé, ignore encore pourquoi je n'ai pas franchi le pas. À supposer que je ne l'ai pas franchi.


(Je précise que cela se veut évidemment une plaisanterie. Vous pouvez ranger les menottes)


L'histoire des personnalités multiples du protagoniste nous apparaît secondaire, au point de ne se profiler que le temps de mieux nous désorienter au milieu d'un délirium macabre qui s'agence sans cri ; dansant au milieu du silence terrifiant de la banalité du mal que l'on scrute ici au microscope. Celle-ci, parfois caricaturale, ne manque cependant jamais d'être géniale.


Qu'on ne se détourne pas cependant de l'essentiel et qu'on ne laisse pas le délicieux - si délicieux - turpide faire office de mystification pour dissimuler les malfaçons. Car elles existent et sont patentes. J'aurais été en effet confronté au plus hallucinant recueil de coïncidences hasardeuses. Si, effectivement, MPD Psycho ne se focalise pas trop sur ses inquisitions, le coupable manque à chaque fois de leur tomber tout cuit dans la bouche sans qu'ils ne se soient donnés la peine d'avoir eu à lui courir après. La traque, chez eux, s'opère depuis le fauteuil. Ils pourront mourir de tout à se confronter à un pareil vivier de tueurs en série, mais jamais d'un claquage musculaire.
En écrivant cela, je ne déplore pas le manque d'action qui finalement ferait tâche - et il fera tâche par la suite, ô que oui - mais la facilité avec laquelle on devine le crime.


Et puis... MPD Psycho, c'est aussi des morts épouvantablement savoureuses comme s'il en pleuvait. Celles-ci semblent réelles au-delà même de l'aspect graphique qui les resitue à merveille. À m'extasier comme je le fais devant un aussi vil spectacle, j'ai conscience que le ministère de l'intérieur a en tête de rédiger une belle petite fiche me concernant ; mais je ne regrette rien. L'ignominie reluisante qui surgit à chaque page est trop réjouissante pour ne pas chanter et même crier ses louanges.


Moi qui pensais me lasser par avance des tribulations liées aux personnalités multiples de Amamiya, celles-ci, à force que je ne les scrute, n'ont que trouvé grâce à mes yeux. Pour un temps.
Loin des innombrables poncifs inhérents aux thématiques des personnalités duales que j'aurais eu à éprouver à longueur de lectures - plus particulièrement dans bon nombre de Shônens - je suis allé ici de surprise en surprise. Le lecteur retrouvera ici un schéma assez tortueux qui lui rappellera immanquablement les errements psychiques d'un certains Sensui qui, lui, n'aura pourtant fait qu'égratigner la thématique.


Puis, finalement, les intrigues noueuses se seront naturellement emmêlées en un nœud coulant prompt à mettre à mort ce qui avait fait le charme des débuts. On entre de plein pied dans une affaire de conspiration avec le groupe Gakuso. Peut-être certaines phases dudit complot sont agréables à lire, mais dans l'ensemble, ça sinue pour la finalité serpenter. Parfaitement entre nous, l'histoire d'un psychopathe ayant réchappé à un drame durant la petite enfance et autour duquel se seront nouées foultitudes de conspirations... ça me rappelle quelque chose. Quelque chose qui, au regard de l'intrigue globale, a su autrement mieux soigner son écriture pour la rendre impeccable de part en part. Je réitère ; MPD Psycho aura eu beau jeu de se détourner d'un scénario de longue haleine pour s'en tenir aux histoires courtes qui ont fait sa gloire.


Le voile de la féérie macabre, déchiré par le glaive tranchant de l'esprit critique, suffit à éclaircir le paysage qui s'avère maintenant plus quelconque. De ce que MDP Psycho avait d'atmosphérique et de glaçant, tout cela finalement frayera avec le spectaculaire et le sensationnel.
Les personnages qui plus est, sont relativement peu approfondis pour un Seinen qui se pique d'une telle approche eu égard à la psyché humaine. Oui, nous retrouverons - et à foison - ces figures psychopathiques qui, avec un sourire malsain, laisseront résonner à longueur de cases un rire strident à l'issue de leurs méfaits. Et dire que j'ai cru. Trois volumes plus tard, je savais à quoi m'en tenir. Façon de parler, puisqu'il n'y a alors plus grand chose à quoi se raccrocher.


L'affaire Lucy Monostone me laisse finalement, de marbre. D'un marbre de pierre tombale. Celle-là est comme un spectre lourdingue qu'on agite histoire de rappeler sur quoi repose le fil conducteur d'une intrigue dont on se détache à mesure que les chapitres se succèdent. La débandade surgit comme une chute dans les escaliers après que trois marches seulement aient été descendues avec majesté.


L'amour, pour ce qu'il y avait d'aimable dans ce manga, aura duré trois volumes. En arrondissant. Je ne lui fais pas grief de sa complexité mais au contraire de sa fausse complexité, celle qui suppose qu'un chemin tortueux et alambiqué est préférable à un sentier direct qui, lui, sait au moins il mène. Cela tourne finalement à la révélation pour la finalité d'étourdir, à éplucher l'oignon une couche après l'autre jusqu'à ce qu'on découvre qu'à la fin des fins, qu'au bout du bout, il ne restait plus rien à se mettre sous la dent. On aime décidément ça dans les Shônens comme les Seinen faire jaillir des histoires de complot global dont il suffit de tirer sur une longue ficelle pour en dérouler les manigances. La ficelles, ici comme ailleurs, était trop grosse pour qu'on ne se prenne pas les pieds dedans à la lecture.
MPD Psycho, en se fourvoyant sur ce qu'il était, aura finalement compromis une vocation dans laquelle il s'était pourtant engagé avec brio.

Josselin-B
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le 11 juil. 2021

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Josselin Bigaut

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