Malgré la volonté de son auteur, malgré une histoire finement brodée, de Natsuko no Sake, j’en fus exclu. Non pas que je ne fus pas réceptif à la thématique. Il est vrai que je ne bois pas d’alcool, mais cela ne m’avait pas empêché, en d’autres temps, de me délecter – avec modération – des quelques vertus du manga Les Gouttes de Dieu traitant aussi de la passion pour l’alcool. En dépit d’une relative – très relative – ouverture d’esprit dont je suis à même d’exercer lorsque je découvre une œuvre, quelque chose d’autre m’a repoussé à chaque nouveau chapitre qui venait. La forme a ici bien trop déconsidéré le fond pour qu’on s’y plonge.
La forme, ce pourraient être les dessins. Ceux-ci, au premier abord, ne prédisposent pas à la lecture. Ils sont pareils à du Rumiko Takahashi d’où l’excentricité aurait été dégorgée pour nous abandonner à un rendu froid et statique, mais apaisé. Seulement, on ne souffre pas de la lecture d’un bon manga au seul prétexte que les graphismes sont malplaisants. De même qu’on peut s’exclamer « j’en ai baisé des plus moches » toute honte bue, je vous dirai que j’en ai lu des moins gironds sans pour autant bouder mon plaisir. Si la forme de Natsuko no Sake m’a éconduit, ce n’est que du fait de passivité criminelle de sa scénographie. Elle en était si plate que tout lui glissait dessus, à commencer par l’attrait que je fus susceptible d’avoir pour l’œuvre.
Voudrait-on croire, à le lire, qu’on tiendrait en main du Taniguchi croisé Adachi. Ce qu’on pourrait confondre avec de la pondération et de la pudeur dans le fait rapporté ne sont en vérité que les cache-misère d’une platitude qui ne gagnera jamais en relief. On a beau vouloir nous faire pleurer sur un cancer – une ficelle scénaristique avec laquelle Les Gouttes de Dieu n’a que trop joué à la corde-à-sauter – jamais on ne se sent concerné.
En dépit d’efforts persistants et répétés du début à la fin de l’œuvre, on n’arrive pas à se mettre dedans. Impossible de partager la passion – pourtant bien réelle – que l’auteur cherche à nous transmettre. L’ochoko de saké nous est tendu, mais il nous est impossible de nous en saisir. L’engouement n’est pas communicatif. Chaque page qui vient, on s’y sent extérieur en dépit de tentatives effrénées à sans cesse vouloir se jeter dedans. Un enthousiaste de tout ce qui tient à la distillerie et au saké, pourtant premier désigné par l’œuvre, ne pourrait pas non plus être transporté par ce vaisseau qui vogue sans mât ni gouvernail.
La documentation est là, le travail n’est en aucun cas superficiel, mais on jurerait lire une encyclopédie. Pour un peu… on souhaiterait même lire une encyclopédie tant rien n’est prenant.
À la lecture, nous serons confrontés bien assez tôt à la très éculée assertion selon laquelle les petites exploitations, avec amour et respect du produit, supplantent les grosses industries qui margent éhontément sur la quantité au détriment de la qualité. Il y a comme un petit paradigme Miyazakiste dans les vapeurs de saké. Leur riz n’a pas d’âme, très bien, mais il y a l’économie d’échelle. Eux ont recours aux pesticides pour avoir davantage d’exploitation, donc davantage de production en bout de chaîne et donc… des économies d’échelle qui les rendent plus compétitifs. Vendre son saké issu de riz sans pesticide – donc très difficile à cultiver du fait que la moitié des révoltes se fassent bouffer – sera nécessairement plus cher, car forcément moins disposé à une production de masse. C’est à ça que tient le succès de marques moyennes sinon mauvaises et l’ombrage porté aux marques de qualité, autrement moins compétitives.
L’amour du travail bien fait, le riz de la légende… les bons sentiments, ça n’est pas seulement les litanies assommantes sur l’amitié, c’est aussi le fait de penser pouvoir combattre des états de fait et des réalités bien ancrées simplement en serrant le poing d’un air résolu en jetant un regard déterminé face à soi. Il y avait dans l’œuvre, à ses débuts, une dose de naïveté qui se sera heureusement édulcorée plus tard.
La vie d’entreprise du début y est en revanche admirablement narrée, on s’y croirait. L’inconvénient étant justement… qu’on s’y croirait. Qui, de sain d’esprit, voudrait expérimenter une journée de travail dans une grande entreprise du tertiaire au Japon sans qu’un effort de scénographie ne fut à même de mieux la mettre en valeur ? Heureusement, cela se décante assez vite et Natsuko part de zéro pour débuter sa propre exploitation. Sa riziculture, en l’état, ne vaudra cependant jamais celle des derniers volumes de Vagabond. Vagabond ; un manga sur les sabres qui se croisent, est parvenu à être autrement plus percutant sur la culture du riz qu’un manga qui, de ce riz, en a pourtant fait son socle. C’est un problème. C’en est un pour son auteur, et surtout pour ses lecteurs.
Natsuko no Sake n’a pas mauvais fond. Le fond, d’ailleurs, il est consistant au point d’être indestructible, mais à le scruter, immaculé et solide comme du béton… on en vient justement à contempler du béton et à s’emmerder en conséquence. C’est un béton joliment façonné qu’on nous présente là, mais ça n’est que ça. L’œuvre manque de souffle et ne se donne aucun élan pour aller là où elle veut – quand elle se désigne une direction claire. Natsuko no Sake est une œuvre qu’on lit en ne trépignant pas d’impatience mais de lassitude. On aura beau mettre en avant la beauté de gens simples et investis dans une activité saine et intelligemment rapportée au lecteur, rien n’y fait : c’est résolument chiant à lire. Les Gouttes de Dieux, sans se perdre dans des éclats stériles, avait su rendre son récit plus vivant et immersif. Tout manque à Natsuko no Sake. Que ce soient ses personnages fades, ses orientations scénaristiques ou tout ce qui se tient à la structure même de l’œuvre, tout pèche sous la poids de la carence.
Y’en a qui se laisseront prendre, et tant mieux pour eux, car le périple n’est pas inintéressant, mais ils ne seront traînés par l’auteur que du bout des doigts. La passion est une flamme et nous contemplons ici la banquise. La vie à la ferme rapportée en ces pages est plus plaisante à mes yeux biaisés de lecteur anti-moderne que pourrait l’être celle d’une exploitation industrialisée, et pourtant… je lui ai préféré de très loin la retranscription qu’en avait fait Arakawa avec Silver Spoon. On aura beau dire… sans un minimum d’effort de mise en scène, toute bonne histoire tombe à plat. Le plus splendide scénario, si on filme dans le noir et sans le son, aura été écrit en pure perte. Au script de Natsuko no Sake, je n’ai pas une seule remontrance à lui adresser… mais son auteur n’a pas su donner envie de le lire, et c’est là tout le drame de sa composition. À la lecture, je m’y serai pourtant forcé jusqu’à la fin, accentuant alors la frustration qui fut la mienne à chaque case qui défilait sous mes yeux mornes et dépassionnés.
Et puis ça tourne en rond, il faut bien le dire. Du faux drame, des déceptions qui précèdent des joies simples… et Natsuko devient finalement l’héritière de son père qui… très franchement, n’avait pas de meilleure option sous la main et donc aucune raison valable de tergiverser. Des leçons en distillerie, j’en ai pas retenu une seule. Mais des recommandations sur les choses à ne pas faire dans un manga pour capter un nouveau lecteur et le convier à la fiction portée à sa connaissance, Natsuko no Sake en est fait.