L’écologie épique de Hayao Miyazaki
Miyazaki n’est pas seulement l’artiste qui a fait reconnaître internationalement les mérites de l’animation japonaise même auprès des plus rétifs, il est aussi l’auteur d’une bande dessinée admirable, Nausicaä de la vallée du vent, que les éditions Glénat achèvent de rééditer...
La guerre entre le Royaume Tolmèque et l’Empire Dork a commencé, entraînant dans sa tempête meurtrière les royaumes périphériques, dont la paisible Vallée du Vent de la princesse Nausicaä. Non loin, l’étrange forêt toxique nommée La Mer de la Décomposition semble l’objet de terrifiants enjeux. Les forces mystérieuses qui y dorment pourraient bien s’agiter et bouleverser la face du monde.
Initialement publiée de 1982 à 1994 la saga de Nausicaä aligne plus de mille planches qui forment un ensemble d’une grande cohérence. On y retrouve les thèmes chers au créateur de Princesse Mononoke : les forces de la nature et les partisans d’un univers rural, équilibré et animiste s’affrontent à la démesure conquérante d’une civilisation technologique et guerrière. À travers la menace d’armes bactériologiques et de sournoises radiations, la science sans conscience est ici davantage que la ruine de l’âme, la porte de l’apocalypse. Pour soutenir son message écologique empli de nostalgie, Miyazaki veille à la vraisemblance de son univers imaginaire : organisation politique et religieuse, coutumes, vêtements, écosystèmes, chaque détail semble avoir été réfléchi.
Nausicaä est aussi un récit héroïque et guerrier qui détaille les aspects tactiques et stratégiques sans oublier de montrer les conséquences des batailles : victimes civiles et destruction de l’environnement. Comme souvent chez Miyazaki au-dessus de ce chaos émergent des femmes hardies et déterminées, redoutables walkyries, enfants naïves ou figures maternelles réconfortantes. Si Nausicaä est aussi pure et bienveillante que les tyrans qui lui font face semblent fourbes et décadents, l’auteur sait éviter le manichéisme en donnant à ses lecteurs le temps d’appréhender les différentes facettes de ses personnages.
En regard de la plupart des mangas, Nausicaä est d’un format plus grand qui permet un graphisme précis tout en présentant une grande densité de cases par planche, ce qui induit un rythme de lecture posé qui ne déplaira pas aux amateurs de BD franco-belge. Cette nouvelle édition est la réplique fidèle de l’édition japonaise, avec jaquette, posters couleurs et planches imprimées non pas en noir mais dans un sépia qui, s’il nuit un peu aux contrastes, accentue le caractère mythologique de l’œuvre par sa connotation désuète.
Se plonger dans les sept tomes de Nausicaä c’est l’assurance d’être emporté par un souffle épique qui a un parfum commun avec le Seigneur des Anneaux, les premiers Star Wars et le Alexandre Nevski d’Eisenstein.
Vladimir Bapoum