Nellie Bly : Dans l'antre de la folie par Christine Deschamps

Ca ne sert à rien de s'énerver rétroactivement, mais, quand même, tous ces abus de pouvoir de la part de bonshommes patenôtres et ricanants, secondés crânement par des mégères sadiques contentes d'échapper au sort commun en jouant la complicité, on ne peut pas dire que ça détendre vraiment. Surtout que le dossier à charge commence à peser l'équivalent de la pyramide de Gizeh. Depuis Camille Claudel, on connaissait bien le sort réservé aux malheureuses trop encombrantes aux yeux de n'importe quel mâle aux préoccupations tout sauf altruistes. Les témoignages s'accumulent après coup, à présent que les voix féminines sont en passe de réhabilitation par l'historiographie officielle. Le travail des deux autrices participe donc de ce mouvement de désinvisibilisation des femmes, qu'elles soient aussi extraordinaires que Nellie Bly ou bien plus anodines. Elles n'en méritent pas moins le respect dû à la personne humaine. Combien de catégories auront-elles été systématiquement chosifiées au profit d'une autre, dominante, imbue de sa propre importance, ridicule mais nocive ? Peut-on commencer à espérer que ces mouvements contemporains, de #metoo à #blacklivesmatter, promeuvent un jour un vrai sens de l'égalité entre bipèdes ? Des ouvrages comme celui-ci pourraient faire pencher la balance. D'abord, il est construit de manière à soutenir l'intérêt, avec des flashbacks qui alimentent la trame principale. Ensuite, parce que le dessin aussi sert le propos, en collant au réel pour mieux s'en distancier dans certaines vignettes éloquentes, traversées de trouvailles graphiques bienvenues. Rien de trop extravagant, pour ne pas tirer la couverture à lui. Un cocktail équilibré, donc, qui accomplit son office, sans se hisser à des sommets extraordinaires non plus, mais c'est très honnête et ça se respecte, ça.