Nettoyage à sec
7.1
Nettoyage à sec

BD franco-belge de Joris Mertens (2022)

Martens réinvente et réenchante le roman noir

On n’a jamais vu, de mémoire de Parisien, autant de pluie tomber sur la ville (… mais s’agit-il vraiment de Paris ? de Bruxelles ? d’une ville comme des dizaines d’autres capitales ?), et la vie de François, livreur sous-payé d’une petite entreprise de nettoyage à sec semble se dissoudre peu à peu. Il faut dire qu’il n’arrête de perdre ou d’oublier ses parapluies. Son seul rêve : gagner le gros lot au loto, pour pouvoir emmener Maryvonne et sa fille au soleil, loin de cette grisaille et de ce désespoir qui semble suinter des murs. Un jour, une opportunité s’offre à lui, sous la forme d’un magot dans un sac, dont il peut s’emparer, sans témoin. Bien entendu, il s’agit d’une illusion, et le piège du destin va se refermer sur François.


Ce scénario, on l’a lu, on l’a vu au moins dix fois depuis qu’on lit des polars ou qu’on regarde des films noirs. On ne peut pas dire qu’il y ait la moindre surprise dans le récit que déroule Joris Mertens dans son "Nettoyage à Sec", et on a le droit de retenir ce défilement de stéréotypes contre le livre. Mais on sait bien aussi que les stéréotypes en sont devenus justement parce qu’ils décrivent avec justesse des situations communes, banales : cette souffrance silencieuse des démunis, des oubliés de la vie, qui ont juste assez d’énergie pour survivre, qui surnagent jusqu’au moment où l’eau dépassera le niveau de leur bouche… n’est-elle pas, sinon universelle, du moins visible chaque jour autour de nous, qui vivons dans ces villes de plus en plus inhumaines ?


Et puis, le Belge Joris Mertens n’est-il pas avant tout un dessinateur, un illustrateur ? De génie, pourrait-on ajouter sans craindre l’excès… Parce qu’ouvrir "Nettoyage à Sec", c’est tomber littéralement dans un monde fascinant, un monde qui est totalement le nôtre, mais dont la laideur est sublimée par la splendeur d’une mise en image littéralement extraordinaire. On s’arrête d’abord longuement devant ces pages magnifiques, que l’on prend plaisir à contempler, dont on absorbe peu à peu l’atmosphère. Et puis, on réalise que la narration par l’image – plus que par le texte ou par les dialogues, finalement peu nombreux et pas si importants que ça – que nous propose Mertens témoigne d’une maîtrise parfaite. Du coup, on se laisse emporter par un filet d’émotion qui se mue peu à peu en torrent. Jusqu’à la conclusion, prévisible mais terrible de cette histoire.


Une histoire, on l’a dit, peu originale, mais qui est comme réinventée, réenchantée, et que l’on vit peut-être pour la première fois avec autant d’empathie.


[Critique écrite en 2022]

EricDebarnot
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Les meilleures BD de 2022

Créée

le 29 mai 2022

Critique lue 174 fois

6 j'aime

Eric BBYoda

Écrit par

Critique lue 174 fois

6

D'autres avis sur Nettoyage à sec

Nettoyage à sec
EricDebarnot
8

Martens réinvente et réenchante le roman noir

On n’a jamais vu, de mémoire de Parisien, autant de pluie tomber sur la ville (… mais s’agit-il vraiment de Paris ? de Bruxelles ? d’une ville comme des dizaines d’autres capitales ?), et la vie de...

le 29 mai 2022

6 j'aime

Nettoyage à sec
Do1324
9

Critique de Nettoyage à sec par Do1324

Quelle plongée pluvieuse, parisienne et à l’odeur des clopes Fortuna ! Les pavés brillent, la lumière nocturne splendidement peinte. Et François nous embarque, à pied dans sa vie, en estafette dans...

le 30 avr. 2024

1 j'aime

Nettoyage à sec
Ilnyakemaille
8

Critique de Nettoyage à sec par Ilnyakemaille

le manque d'originalité du scénario est largement compensé par un sublime traitement graphique. A certains moments, l'auteur de Béatrice aurait même pu s'abstenir de certaines paroles et textes ...

le 19 déc. 2023

1 j'aime

Du même critique

Les Misérables
EricDebarnot
7

Lâcheté et mensonges

Ce commentaire n'a pas pour ambition de juger des qualités cinématographiques du film de Ladj Ly, qui sont loin d'être négligeables : même si l'on peut tiquer devant un certain goût pour le...

le 29 nov. 2019

205 j'aime

152

1917
EricDebarnot
5

Le travelling de Kapo (slight return), et autres considérations...

Il y a longtemps que les questions morales liées à la pratique de l'Art Cinématographique, chères à Bazin ou à Rivette, ont été passées par pertes et profits par l'industrie du divertissement qui...

le 15 janv. 2020

191 j'aime

115

Je veux juste en finir
EricDebarnot
9

Scènes de la Vie Familiale

Cette chronique est basée sur ma propre interprétation du film de Charlie Kaufman, il est recommandé de ne pas la lire avant d'avoir vu le film, pour laisser à votre imagination et votre logique la...

le 15 sept. 2020

190 j'aime

25