François Boucq est un peu comme Michelange : superdoué en tout (c'est le champion toutes catégories de la hachure, plus fort même que Moëbius!) sauf en physionomies féminines. En général, ses personnages féminins ont la même tête que Pavel, le rescapé du goulag : promettes hautes, yeux écartés, front d'auroch... Je me fais la même réflexion pour les protagonistes de Bilal, d'ailleurs, dans un autre genre. Comme quoi, ce doit être un défaut véniel. Ceci mis à part, le voilà qui nous plonge cette fois dans le New York un peu crado du début des années 90, comme si Starsky et Hutch avaient repris du service, la bagnole zébrée en moins. C'est toujours avec une petite appréhension que j'ouvre ses ouvrages : les histoires y sont toujours tellement cruelles pour les innocents. Avec un bébé au centre de celle-ci, on pouvait craindre le pire. Et il n'est jamais loin, mais une sorte de souffle surnaturel à la Jodorowski (pourtant étranger à ce projet) vient tempérer le sadisme de l'histoire. Bien sûr, il y a des cannibales, le titre n'en fait pas mystère, et des réseaux de prostitutions, et un certain nombre de mauvais traitements infligés à d'innocentes créatures, sans compter la misère qui frappe les disgraciés... mais il y a aussi une sorte de justice immanente, une transcendance vengeresse qui balaie d'un revers d'aile les miasmes de la psyché humaine. Cela n'a pas dû manquer de froisser les esprits cartésiens, dont je ne fais heureusement pas partie. Au contraire, j'ai trouvé que l'histoire trouvait là un souffle inédit, un optimisme bienvenu qui soulage un peu de l'accablement produit par les avalanches de psychopathes qu'on nous inflige à longueur d'histoires. Comme si le fait qu'ils aient trusté les postes à décision de notre monde nous condamnait tous à n'entendre que leur chœur dissonant. Le fait que cela ne soit pas inéluctable méritait bien une petite percée discrète dans les fictions contemporaines...