Noise
6.9
Noise

Manga de Tetsuya Tsutsui (2017)

Beaucoup de bruits pour rien

Il est des animaux qui, dans la nature, peuvent traquer une proie sans relâche jusqu’à y porter les crocs ou bien se laisser mourir de faim d’ici à ce qu’ils y parviennent. Même s’il serait plus simple et judicieux pour eux d’abandonner la poursuite, de s’orienter vers un gibier plus accessible, un qui soit à portée de mâchoires, ces prédateurs ne peuvent pas renoncer ; la nature les en prévient, quitte à devoir les tuer.


Je les comprends ces animaux. Lorsque, pour la première fois de ma vie, je dévorais avec des dents acérées la première œuvre de Tetsuya Tsutsui qui me narguait, je savais que le goût de son sang deviendrait pour moi irrésistible ; que plus jamais je ne goûterai quelque chose d’aussi succulent. Et alors que l’auteur poursuit ses forfaits les uns après les autres, dans son sillage, je suis là, résolument présent, prêt à chaque nouvelle occasion qui se présente à lui sauter à la gorge. Après que j’en eus fini avec Hiro Mashima, il ne me restait qu’une proie de prédilection, et c’était lui. Je vous parle d’une proie qui me galvanise rien que lorsque je sais qu’elle existe. Et c’est toujours bruyamment qu’existe monsieur Tsutsui, tout tapageur qu’il est de son impudence d’auteur faussement persécuté. Noise ; c’est de ça dont je ferai un repas aujourd’hui. Libre à mes lecteurs de se gargariser des restes. Si j’en laisse...


Que ceux qui ont levé les sourcils lorsque j’ai mentionné le titre se tempèrent immédiatement ; ça n’est pas le Noise de Tsutomu Nihei dont on va se régaler ici. Tetsuya Tsutsui est un auteur si doué dans ce qu’il entreprend qu’il parvient à décevoir son lecteur dès l’affichage de son titre. C’est un virtuose. Il n’y en avait qu’un seul autre comme lui… mais il s’est suicidé de honte. Toutefois rassurez-vous, de vergogne, monsieur Tsutsui n’en a pas une once ; cet homme-là est bien foutu de vivre encore mille ans pour nous faire pleuvoir à verse autant de preuves de son absence de talent.


Comme un pet foireux, Noise commençait bien avant qu’une trace de merde ne vienne maculer le caleçon. Figurez-vous que j’y suis vraiment sensible à la thématique de l’exode rurale qui, au Japon, est peut-être plus désastreuse qu’ailleurs dans le monde. Là-bas, les campagnes sont, pour beaucoup, laissées littéralement à l’abandon. J’avais vu des reportage qui nous présentaient presque des villages fantôme du seul fait du dépeuplement rural et du départ des jeunes vers les grandes villes. L’auteur aurait-il poursuivi sur cette seule thématique cela, afin de l’approfondir comme il se devait, à la manière d’un Silverpoon qui effleurait ce registre, que j’aurais – du bout des lèvres – formulé un semblant de mea culpa à son égard. Mais ce jour n’arrivera jamais ; car on ne peut décidément pas empêcher Tetsuya Tsutsui de faire du Tetsuya Tsutsui. C’est à croire que cet homme-là ne peut rien écrire de convenable même en partant d’un postulat prometteur. Comme si sa nature profonde cherchait instinctivement à l’en prévenir. Moi, ça me fascine à force, de le voir sans cesse se saboter toujours tant d’entrain. De là, la critique me vient naturellement au bout des doigts.


Ces trois volumes, il aura fallu que je me le fasse prêter tant personne n’en veut, même en scan. Tetsuya Tustsui est un auteur que le monde entier envie, mais que bien peu se risquent à lire. Sans doute nous dira-t-il que cette lassitude de son lectorat tient à une forme de persécution du système. Je crois, pour ma part, qu’il a capitalisé sur sa réputation d’auteur censuré – à grand renfort de censure promotionnelle – jusqu’au dernier centime. On commence à voir qu’au-delà du propos « On a très partiellement censuré la publication de mon manga dans quelques librairies d’une préfectures très définie du Japon » n’émeut plus à force. Après l’auteur, il se devait d’y avoir une œuvre, mais il n’y avait qu’un auteur, une réputation de dissident faite d’approximations, et rien derrière.


Noise ne suggère rien. Malgré son titre, il n’évoque ni un bruit, ni une couleur et pas même une odeur. Il est fade et affecté dans ce qu’il rapporte avec, toujours, ce protagoniste vertueux à outrance, lui aussi quelque part victime du monde et jamais de lui-même. Très vite, avec l’introduction de l’élément perturbateur Tsutsui justifie pourquoi il n’approfondira pas davantage qu’en surface la thématique de l’implantation rurale. Car pensez donc, cela aurait demandé un travail de recherche. Vite, du drame à pas cher pour présager un tragique discount. Tetsuya, enfin je te retrouve.


Ainsi, quand l’intrigue s’amorce, elle s’accomplit comme le Délivrance du pauvre. Car tout y est ; le contexte provincial reculé de tout, une bête humaine qu’on élimine – par accident évidemment – et un secret à garder à compter de ce jour. La seule différence avec le film Délivrance étant qu’ici, seul le lecteur se fera enculer.

Ça ne dure que trois tomes, mais dans chaque volume, c’est un concentré de l’infini qui s’offre à nous. Tout y est si déplaisant, si mou, si poussif pour ce qui est de la trame qu’on recule à mesure qu’on le lit. Rebutant au possible. L’enquête, en outre, y sera menée sans conviction ni sens de déduction crédible.


Les criminels, ici, ne le sont évidemment qu’à leur insu. Quand ils tuent, il le font de bonne foi, malgré eux, et uniquement en assassinant – accidentellemeeeeeent – une victime qui, parce qu’elle est antipathique jusqu’à la dernière fibre de son être, a bien quelque part mérité son sort. Oui, le manichéisme et les traits de caractère tout blanc ou tout noir d’un personnage à l’autre, c’est une marque de fabrique de l’auteur ; une à laquelle il ne déroge en aucune occasion. Les vieilles habitudes font la vie dure, mais avec Noise – et tout ce qui précède ce titre – la vie dure, c’est à ses lecteurs que Tsutsui la mène.


Avec ce manichéisme, vous retrouverez évidemment les excuses toute faites pour des bourreaux drapés en victime, et tous les chefs d’inculpation possible pour agonir les méchants. Non, non, pas les antagonistes ; les méchants. Parce qu’effectivement, la nuance est manifestement en option quand monsieur Tsutsui tient les crayons. L’adjoint au maire, à ce titre, est un monument tout approprié pour illustrer cette manie que l’auteur a à ne pas savoir écrire ses personnages. Il est digne d’un cartoon tant la mise en scène et la narration s’associent et s’acharnent à le rendre plus sournois que l’usage ne le prévoit. La vilenie, en ces pages, est ainsi repoussée jusqu’à des strates jamais atteintes auparavant. Avec toujours, les gentils comme innocentes victimes de cette méchanceté gratuite. Le misérabilisme, c’est une constance chez l’auteur. Un auteur dont on pourra dire de lui qu’il a du mérite à ne jamais déroger à ses principes.


La fin s’écrit dans la droite lignée du récit, mais elle fait du bien à lire. Non pas qu’elle ait quoi que ce soit de pertinent ou d’intéressant à nous offrir… mais c’est toujours un plaisir d’en finir avec une œuvre de Tetsuya Tsutsui. La page qu’on préfère dans ses ouvrages, c’est toujours la dernière qui nous passe sous les yeux. Elle gagnerait à s’afficher en premier afin de mieux masquer le manque d’imagination et d’écriture dont nous fûmes – une fois encore – sanctionné sur trois tomes.

Josselin-B
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le 22 mars 2024

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Josselin Bigaut

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