Bandit est un chien toujours soucieux du bien-être de ses maîtres humains ; Minette est une chatte aimée en dépit de son sale caractère ; Pirate est un lapin doux. Tous trois sont ravis à leurs propriétaires et se retrouvent dans un laboratoire militaire où on les équipe du dernier cri de l'armement pour en faire les prototypes d'une nouvelle forme de soldat : un guerrier implacable et inhumain, dans tous les sens du terme, qui doit mener des guerres « propres » dont plus aucun être humain sera victime.
Mais une fois les tests concluants, les responsables du projet veulent mettre les cobayes au rebut. Pour Roseanne, l'instructrice qui a appris à les aimer, cette décision est inacceptable. Alors elle leur donne une chance de retrouver leur liberté. Poursuivis par l'armée, les trois animaux se retrouvent dans un monde où leur apparence fait d'eux des monstres, un monde où leur instinct et leur entraînement les rendent aussi dangereux que leurs poursuivants... mais un monde où quelque part existe cette chose qui s'appelle « maison ».
Après des centaines de livres, de BD et de films se réclamant de la science-fiction, on a du mal à s'étonner devant de nouvelles découvertes. On devient blasé en quelque sorte. Puis on tombe sur WE3 et on se dit que c'était une bonne idée de se laisser tenter par cette couverture inhabituelle, parce que c'est le genre de voyage dont on ne revient pas entier...
Ce n'est pas tant que ce récit propose quelque chose de nouveau dans le thème mais plutôt dans la facture. Si le sujet des expérimentations militaires sur des « gens » innocents est pour le moins banal et bien assez convenu, il prend ici une tournure inattendue et d'autant plus bienvenue qu'elle est menée avec un immense talent, à la fois sur le plan narratif et sur le plan graphique.
Dès les premières planches, on comprend que les trois animaux sont les personnages principaux de l'histoire, car des humains on ne voit pas le visage – un procédé graphique ici d'une habileté rare. L'impression se confirme par la suite, quand on suit leurs tribulations à travers ce monde qu'ils ont bien connu mais où ils se retrouvent étrangers et en fin de compte paumés. Quant à leur humanisation, elle passe tout simplement par la parole, car ici les chercheurs ont donné aux animaux la seule chose qui leur manque pour en faire des êtres humains – l'expression est bien connue...
C'est donc, et malgré tout le paradoxe que porte le sujet de départ, une histoire humaine, c'est-à-dire profondément émotionnelle – car basée sur des ressentis au lieu d'idées – et effectivement émouvante – car le pari des auteurs est gagné – en dépit d'une intrigue qui repose abondamment sur l'action – à travers des graphismes tout à fait étonnants – mais entrecoupée de passages où l'aspect « humain » des personnages principaux prend toujours le pas – ce qui est bien la marque des grands récits. Rappelons au lecteur incrédule que la littérature classique n'est pas exempte d'un tel sujet : le Croc-Blanc, de Jack London, entre autres, vient immédiatement à l'esprit.
Il ne faut pas pour autant s'égarer à faire dire aux auteurs de WE3 ce qu'ils ne disent pas, à savoir que la frontière entre les humains et les animaux est plus mince qu'on le croit souvent – comme l'ont bien démontré du reste les conclusions récentes de recherches scientifiques – car tous les événements présentés dans cette histoire ne sont que les conséquences logiques de la dégénération aussi brutale qu'inattendue d'une situation pour le moins explosive au départ. Mais une dégénération qui reste néanmoins le fruit d'une intervention humaine.
Mené tambour battant par un tandem d'auteurs qui s'est affirmé depuis longtemps comme un nouveau maître de la narration graphique, WE3 est une de ces perles crève-cœur à découvrir de toute urgence.