Nura, le Seigneur des Yokai exploite une tendance bien établie : reprendre un concept classique et le moderniser en y introduisant les éléments-clés du shônen actuel. Bleach l’a fait avec les shinigami, Blue Exorcist avec les exorcistes, Naruto avec les ninjas,… Comme son nom l’indique, Nura, le Seigneur des Yokai le fait avec les yokai, ces créatures issues de la tradition japonaise. Bien loin des histoires de Shigeru Mizuki, ici les yokai sont réunis en clans. Nurarihyon dirige le clan Nura, le plus puissant du Japon. Son petit-fils et héritier, Rikuo, est partiellement humain ; une situation qui provoque des tensions au sein du clan, car beaucoup doutent de sa capacité à mener le cortège des démons, d’autant plus qu’il n’a encore jamais montré posséder des pouvoirs de yokai.
Il y a quelques années, j’ai lu un entretien d’un responsable de Kana, qui expliquait que ce manga représentait une déception, car ils misaient beaucoup dessus, croyaient en son succès, mais que les ventes tardaient alors à décoller. En lisant ce manga, je me suis dit qu’il avait pourtant tout ce qu’il faut pour fonctionner. Mais d’un autre côté, cet échec ne me surprend qu’à moitié, car avant cet entretien, je n’avais strictement jamais entendu parler de Nura, le Seigneur des Yokai, alors que je suis tout de même d’assez près le marché français du manga. Autant je trouve qu’ils ont bien travaillé leur communication sur le sympathique Psyren, autant là… Seulement, je suis la preuve vivante qu’ils ont peut-être trouvé un moyen de réparer cette petite erreur : après avoir acheté deux tomes de Prince du Tennis pour compléter ma collection, j’ai eu l’agréable surprise de recevoir le tome 1, dans le cadre d’une opération lancée par l’éditeur. J’ai adoré et j’ai immédiatement acquis la suite.
Nura, le Seigneur des Yokai s’amuse à mélanger les yokai avec un style assez proche des yakuza ; le héros, Rikuo, est un de ces personnages idéalistes qui ne veulent aucune lutte entre les humains et les démons, mais cela ne l’empêche nullement de se battre. Le mangaka réussit à créer un décalage vraiment séduisant entre le monde des yokai, emprunt de légendes et de traditions, et celui des humains beaucoup plus moderne, tout en les faisant cohabiter. Les histoires tiennent à la fois de la confrontation entre ces deux univers, mais aussi aux luttes entre clans de démons, parfois au sein même du clan Nura ; elles reprennent quelques codes du cinéma de yakuza – sens de l’honneur exacerbé, forte hiérarchisation au sein des clans, ou encore luttes de pouvoir – mais alternent surtout, comme nombre de titres similaires, entre l’action et l’humour (même si ce-dernier diminue au fil des tomes), tout en ménageant quelques rares effets dramatiques. Les yokai eux-mêmes sont souvent des versions guerrières des figures classiques, comme Yuki Onna, les Tengu, les Inugami, ou les Kappa.
L’histoire peut donc sembler plutôt classique, mais c’est typiquement le genre de manga qui exploite bien son idée de départ et les codes du shônen moderne, pour un résultat accrocheur et divertissant. La grosse valeur ajoutée, c’est le dessin, qui possède deux déclinaisons : une forme typique des productions actuelles, et surtout une forme plus proche des illustrations classiques ou du trait de Hiroshi Hirata, qui donne l’impression d’avoir été dessinée avec un pinceau, et employée pour certaines apparitions de yokai pour un rendu saisissant.
Pas révolutionnaire, Nura, le Seigneur des Yokai est titre avec de bons arguments, que j’ai pris beaucoup de plaisir à découvrir tome après tome. Son seul défaut notable, au-delà de son classicisme, c’est qu’il apparait clairement que le mangaka fût forcé par son éditeur à mettre un terme à sa série plus tôt qu’il l’aurait souhaité, l’obligeant à proposer un dernier arc expéditif. Forcément, cela s’avère frustrant, mais heureusement, il ne s’agit que d’un défaut minime tant la série avait su mettre en avant ses qualités jusque-là. Donc si vous recherchez un manga type « Shônen Jump » efficace, je considère celui-ci comme une valeur sûre.