Lâcheté et mensonges
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John Ame Sæterøy (dit Jason, ce qui est quand même plus facile à prononcer et à retenir !) est un drôle de lascar : d'abord, il est norvégien, alors que les auteurs scandinaves ne pullulent pas a priori dans la BD… Ensuite il a un sens de l'humour on va dire particulier, qui nécessite certainement une certaine accoutumance de la part des lecteurs français, pas forcément habitués à ce registre mi-absurde, mi-naïf. "Ô Joséphine!", sa dernière publication aux éditions Atrabile, sera probablement aussi clivante que les précédentes, mais confirme l'excellence de sa démarche, au point qu'on a vraiment envie que le public français se réveille et place cet auteur "indépendant" au niveau de reconnaissance qu'il mérite. Alors, comme l'un des quatre récits qui composent le recueil "Ô Joséphine" parle de notre Napoléon national, ce serait bien qu'on lui renvoie un peu l'ascenseur, cette fois, à Jason, non ?
Bon, le seul (petit) défaut qu'on peut trouver à ce bouquin par ailleurs décoiffant, c'est son premier récit, qui, en nous contant de manière détachée et vaguement pince-sans-rire les pérégrinations de notre auteur sur les routes irlandaises, évoque un peu trop les carnets de notre Trondheim national, avec moins d'humour évident et un trait plus épuré qui ne s'attarde pas sur les beautés du paysage : voilà un auto-portrait dont on ne sait pas trop quoi penser, et qui, de toute manière, pâlit devant l'excellence, voire le sublime des trois histoires suivantes.
Nous avons d'abord droit à une biographie à la fois fidèle (sur le fond, et sur pas mal de détails) et complètement fantaisiste de notre très cher Leonard Cohen : les fans du maître canadien ne doivent absolument pas passer à côté de ce véritable cadeau que Jason nous fait ici, cette mini-célébration juste un peu décalée d'une vie exceptionnelle. Et si Lenny drague BB au lieu de JJ (Janis Joplin) au Chelsea Hotel, qu'est-ce que ça change finalement, hein ?
L'histoire suivante, thriller anti-spectaculaire mais parfaitement bouleversant, pourrait être décrite comme "Raymond Carver rencontre Richard Brautigan sur une planche à dessin" : c'est dire le niveau littéraire où je place personnellement Jason. C'est tout simplement vertigineux, le regard blanc et vide des personnages accentuant le sentiment de gouffre existentiel qui se dégage de cette construction toute en faux semblant.
Et nous voilà donc arrivés à la fin du volume, avec un récit qui semble conjuguer les tours de force des deux récits précédents, puisque notre cher Bonaparte tombe amoureux de Joséphine… Baker, et est réduit à aller se planquer au sommet d'une montagne pour porter son beau tricorne sans passer pour un fou. La scène antépénultième de l'adieu à Joséphine, avec ses non-dits tourneboulants est d'ailleurs une merveille...
Bon, je ne sais pas si nous serons nombreux à aimer ce livre, je l'espère. Mais au moins, comme on le dit à propos de ceux qui écoutèrent et aimèrent le Velvet Underground en 1969, chacun d'entre nous, après avoir refermé "Ô Joséphine" aura envie de devenir auteur de BD, voire même écrivain. Oui, c'est à ce niveau-là que ça se situe !
[Critique écrite en 2019]
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Créée
le 14 avr. 2019
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4 commentaires
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