Éternel problème de ces œuvres « engagées » qui ne convainquent que ceux qui sont déjà convaincus : faites lire "Maus" ou "Si c’est un homme" à un néo-nazi, il ne renoncera pas pour autant à ses idées… Admettons néanmoins que le 17 octobre 1961 n’est pas si connu qu’une bande dessinée comme "Octobre noir" soit inutile.
Qui a lu les récits de Daeninckx retrouvera cette narration qui met des gens ordinaires aux prises avec l’histoire : ici, un jeune Franco-Algérien amateur de rock — « Mohand » à la ville, « Vincent » à la scène — participe à un concert en même temps que Papon fait ratonner. Le jeune homme ne reverra pas sa sœur vivante.
Le procédé a le mérite de replacer le massacre dans un cadre quotidien, ce qui n’est jamais de trop pour montrer les ravages concrets d’un événement historique. Mais il a ses limites : à trop vouloir resserrer la narration, "Octobre noir" manque de mise en perspective et prête facilement le flanc aux accusations de manichéisme. Vingt ou trente planches supplémentaires n’auraient-elles pas permis de contextualiser davantage, d’exploiter à fond ce contraste entre vie quotidienne et histoire ? Seul leur statut de victimes rend les victimes attachantes, comme si Daeninckx et Mako, peut-être trop confiants en la seule force du témoignage, renonçaient à la subjectivité assumée.
Car le choix d’un trait réaliste, s’il n’est pas inattendu dans ce genre d’œuvre, ne peut tenir lieu de point de vue, et tend à faire passer le dessin au second plan, derrière le scénario et surtout derrière le message. Pas de réel travail sur les couleurs ni sur les cadrages : c’est cruel à dire, mais bien des textes de Daeninckx sont plus cinématographiques qu’"Octobre noir".