Otto, l'homme réécrit
6.8
Otto, l'homme réécrit

BD franco-belge de Marc-Antoine Mathieu (2016)

Pour qui suit le travail de Marc-Antoine Mathieu, Otto n’est pas un inconnu : il exposait (?) son œuvre dans 3”. Mais le narrateur et les personnages du « zoom ludique » de 2011 étaient muets, en-dehors de l’exclamation d’une mouche, tandis que le récit de 2016 est extrêmement riche en texte.
D’ailleurs, on obtiendrait peut-être une nouvelle tout à fait acceptable en imprimant à part la narration d’Otto : l’Homme réécrit. Sans doute suffirait-il de quelques ajouts pour faire le liant. En même temps, une telle opération serait réductrice : une partie de l’intérêt de l’album réside dans le dialogue entre image et texte. (Quant à l’utilisation du format à l’italienne, sur laquelle je reviendrai plus bas, elle me semble loin d’être ici gratuite.)
À vrai dire, le début d’Otto est un peu poussif : on y découvre la lassitude d’un performeur contemporain à succès. C’est au tiers du récit que l’album prend toute son envergure, lorsque Otto retrouve chez ses parents une malle contenant ses premières années – je laisse au lecteur curieux le soin de découvrir sous quelle forme précisément.
À partir de ce moment, on n’a plus qu’à suivre le fil : il s’agit d’« un voyage de psychonaute » (p. 32). C’est aussi un voyage dans les thèmes de Marc-Antoine Mathieu, sur lesquels je ne reviens pas ici. C’est encore un voyage dans les thèmes de Borges, qui me semble encore plus proche que Kafka de l’auteur de Julius Corentin Acquefacques : impossible de ne pas penser à l’Argentin en croisant le vieil aveugle des pages 74 et 75 ; en lisant qu’« en jouant, il [Otto] s’était retrouvé par hasard entre deux miroirs. Cela avait eu pour effet de lui laisser entrevoir l’infini… » (p. 40) ; en voyant Otto construire son propre labyrinthe ; ou en constatant que sa quête le fait furieusement ressembler au personnage principal de « Funes ou la Mémoire » (dans Fictions), dont la première phrase éclaire l’album.
Dans cette critique, j’ai écrit « l’Homme réécrit », ce qui d’après les codes typographiques de l’Imprimerie nationale implique qu’homme est un nom, et réécrit son épithète. Peut-être aurais-je dû écrire L’homme réécrit : L’homme sujet du verbe réécrit. Dans tous les cas, il me paraît clair que l’homme en question n’est pas seulement Otto, mais que la dimension de l’album est universelle, comme déjà celle de [Sens], à la portée existentielle évidente – voir le parallèle entre nombril et galaxie.
Bien sûr, la représentation de la mémoire dans Otto semble une concession (voulue ?) à une forme de modernité : mais les ramifications – à une époque friande d’arborescences et d’embranchements – construites par l’artiste, et les représentations qui ont tout de même salement l’air d’un génome, n’enlèvent rien au caractère intempestif de l’album, donc à sa richesse.
Et ce qu’on pourrait appeler l’unité de base de ces modèles reste le fil – donc Ariane : c’est là qu’on retrouve le labyrinthe. C’est aussi là que je reparle du format à l’italienne : avec ses deux cases carrées par planche (à quelques exceptions près), l’album empêche la classique lecture « en zigzag » : le lecteur se retrouve bon gré, mal gré à suivre le fil, qui est celui du temps, lequel est peut-être, comme Otto, « à la fois cause et conséquence du hasard et de la nécessité » (p. 52).

Alcofribas
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le 1 févr. 2019

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