Lauréat du dernier Prix SNCF Polar dans la catégorie bande dessinée pour Apache, son truculent huis-clos dans le Paris des voyous dans les années 20, le Français Alex W. Inker revient cet automne avec Panama Al Brown. Une mise en lumière, tout en noir et blanc, d’un boxeur panaméen au destin incroyable, dont l'histoire n'a pourtant pas retenu le nom.
Ça parle de quoi ?
Qui se souvient d’Alfonso Brown, gamin panaméen devenu, dans les années 30, champion du monde de boxe sous le pseudonyme de Panama Al Brown ? Personne ou presque. Peut-être parce le jeune homme détestait monter sur un ring et préférait expédier ses combats au plus vite en mettant K.-O. ses adversaires grâce à une droite surpuissante. Aux salles d'entraînement malodorantes, il préférait les nuits parisiennes ou les clubs de jazz de Harlem dans lesquels il dansait et claquait ses cachets pas encore gagnés en bouteilles de champagne.
Pourquoi j'adore ?
Pour raconter cette histoire hors du commun, le dessinateur français Alex W. Inker imagine Jacques, un journaliste français sur la touche, envoyé par son rédacteur en chef couvrir l’entrée de Jean Cocteau à l’Académie française en 1955. Une allusion du poète à un certain Al Brown lors de son discours et Jacques croit tenir le scoop qui va le remettre en selle. Il s’envole immédiatement pour le Panama, sur les traces du jeune Alfonso. Un périple à la recherche du boxeur oublié que l’auteur a lui-même entamé.
Pour dissocier graphiquement l’histoire d’Alfonso de l’enquête de Jacques, Alex W. Inker joue avec les cases. Elles sont rectilignes pour le récit au présent, et ondulées lors des flashbacks. S’appuyant sur un superbe dessin potelé à l’encre de Chine - que l’on avait déjà pu apprécier l’an passé en découvrant son premier album Apache mais cette fois débarrassé de la moindre couleur -, l'auteur dévoile au fil des pages la biographie complètement folle d’un immense sportif tombé dans l’oubli.
Conspué lors de ses combats parce qu’il était trop noir, parce qu’il était trop rapide (il mettait systématiquement ses adversaires K.-O. et préférait le faire rapidement pour ne pas les faire trop souffrir) ou pas assez impliqué (la légende dit qu’il ne s’entraînait jamais, ou très peu), Panama Al Brown n’a jamais eu le public dans sa poche, ce qui explique certainement l’anonymat dans lequel il demeure, malgré son titre de champion du monde poids coq. “La légende d’Al Brown dit qu’il était sur le ring la cigarette aux lèvres et le seau à champagne près de son tabouret. Ce qui est sûr, c’est qu’il fumait juste avant les combats et Cocteau parle du champagne qu’il boit pendant le match. Il tenait grâce à l’alcool et aux drogues”, commente Alex W. Inker dans Ouest-France.
Boxeur et opiomane, oui, Al Brown était tout ça. Mais il était bien plus encore. Un véritable artiste, musicien (il jouait de la batterie et du saxo), danseur, chanteur, le jeune homme était un touche-à-tout talentueux qui amusait le Paris interlope. Présenté à Jean Cocteau lors d'une de ses nombreuses nuits passées à Montmartre, il avait séduit le poète en lui racontant son histoire. On en sait peu sur leur relation. Inker mentionne juste que Cocteau aimait partager l'eau de sa baignoire avec son amant et qu'il est celui qui l'a fait remonter sur un ring.
On reste toutefois un peu frustré de ne pas en apprendre davantage sur l’homosexualité du personnage, dont l’auteur parle peu et qu'il se contente bien souvent de suggérer. "C’était très difficile de travailler ce côté-là du personnage, qui est très discret lui-même. Je ne voulais pas raconter quelque chose de faux. On savait qu’il était homosexuel et qu’il a eu une histoire avec Cocteau, mais on n'a aucune image", explique l’auteur au micro de France Culture avant d'ajouter : "Panama Al Brown (...) a subi les pires attaques parce qu’il était noir et homosexuel, ces combats sont encore d’actualité, il est bon d’en parler."
C’est pour vous si…
Vous aimez les albums qui reviennent sur la vie d'hommes et de femmes extraordinaires, pourtant tombés dans l’oubli. On peut citer le récent et passionnant Artemisia de Nathalie Ferlut et Tamia Baudouin sur l'histoire de la première femme artiste-peintre ou le très émouvant California Dreamin’ de Pénélope Bagieu sur Mama Cass, la chanteuse de The Mamas & the Papas. Comme dans cette géniale biographie, on pourra retrouver à la fin de Panama Al Brown une playlist à écouter pour une immersion complète pendant sa lecture. Planant.
Critique publiée sur Pop Up' / franceinfo.fr