Paroles de poilus, intégrale par Christine Deschamps

Un cocktail quasiment parfait d'art graphique et de grande histoire. Des lettres de poilus, savamment sélectionnées, belles, émouvantes, cruelles, pudiques, indignées, résolues ou résignées, donnent matière au talent de dessinateurs investis par leur devoir de passeurs. Ils donnent à voir ce que les mots des soldats disaient déjà de façon si éloquente, en remettant au goût du jour ces témoignages à frémir. La Guerre devrait s'être disqualifiée d'elle-même depuis sa toute première occurrence, mais voilà, l'homme est comme il est depuis le début, et lui assure un tragique succès génération après génération. Ce gros volume devrait se trouver dans toutes les bibliothèques familiales, tous les CDI, toutes les salles d'attente. Il doit faire rougir tous les Ministres de l'éducation, qui ont laissé le français décliner à un point difficilement imaginable, et assurer un casier judiciaire à n'importe quel abruti qui trouverait un début d'argument pour défendre la violence, quelle qu'elle soit. Enfin bref, une lecture absolument indispensable, au même titre que les ouvrages de Tardi sur le même sujet. La saine indignation qu'elle provoque ne devrait jamais retomber, pour que jamais, jamais, on ne puisse s'accommoder de discours mortifères comme ceux qui ont mené à ces massacres vains et monstrueux, qu'on serait à coup sûr capables de rejouer si on laissait la bride sur le cou à une classe politique sans âme, tout entière dévouée à la préservation de ses privilèges et boursouflée d'arrogance. Si je devais ne retenir qu'une histoire, ça serait celle, brillamment absurde, du compteur à gaz, qui continuait de tourner pendant que le soldat et sa femme infirmière risquaient leur vie quotidiennement sur le front, tandis qu'on leur réclamait 31,75 francs pour une consommation dont ils ne pouvaient être à l'origine. Un modèle de dérision et d'ironie de la part du soldat, qui rédige sa réclamation, et d'ingéniosité du dessinateur, qui se livre à un travelling arrière puis à un travelling avant d'une extraordinaire sobriété. Toute la folie inhumaine du monde en quelques pages qui devraient nous faire rougir de honte et nous propulser dans la rue pour reprendre un peu les rênes...

ChristineDeschamps
10

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le 14 oct. 2019

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