Patria
6.6
Patria

Roman graphique de Toni Fejzula (2021)

Tiré d'un roman, que je n'ai pas lu, adapté en série, que je n'ai pas vue, voici un roman graphique roboratif qui pèse son poids. Physiquement, pour commencer. Trois cent quatre pages, dont un cahier graphique, un lexique basque/français et un épilogue de l'auteur pour expliquer son engagement dans l'illustration des démêlés des basques avec leurs envies d'indépendance et des espagnols avec leur besoin de normalisation. Intéressant, par les échos avec le conflit serbo-croate (grâce aux origines familiales de l'auteur), et, de fait, avec tous les conflits entre l'impérialisme et le nationalisme du monde. La psychologie et l'art sont deux manières de décortiquer les mécanismes qui nous entrainent irrémédiablement vers la pire violence, mais aussi ceux qui nous permettent de rejaillir de nos cendres, à chaque fois, au terme de décennies d'infamies collectives. Par chance, parfois, la souffrance agit comme un athanor et une humanité renouvelée arrive au terme de sa désagrégation pour transmettre aux plus jeunes les histoires tragiques qui l'ont consumée et rebâtie. Dans le meilleur des cas. Dans les livres, voilà où trouver des condensés éloquents qui pourraient nous permettre de nous extraire des bourbiers dans lesquels nous nous enfonçons encore et encore. Il n'y a guère qu'eux. Et Patria participe de cette volonté de mettre à nu nos errements pour nous autoriser enfin à nous épargner le pire. Il n'est pas le seul, et je gage qu'il faudra encore des rayons et des rayons dans les bibliothèques du monde entier pour faire progresser ces idées essentielles : dans n'importe quel conflit sanglant, il n'y a jamais qu'un seul vainqueur et c'est la guerre elle-même. Encore faut-il que les gens poussent les portes des bibliothèques, me direz-vous... En tout cas, dans ce gros volume, il y a moyen de s'immerger jusqu'au cou dans le conflit basque, d'en comprendre les tenants et les aboutissants, d'en épuiser la virulence, d'en embrasser les enjeux, d'en maudire la pugnacité, en écoutant huit voix s'imbriquer pour former une cathédrale sonore et visuelle qui permette de côtoyer au plus près les protagonistes de ces tensions ancestrales. C'est brillant, astucieux, un peu fouillis parfois, roboratif, dense, pesant, urticant, désolant et motivant, dans le sens où ça expose clairement les écueils à éviter pour ne pas déclencher un déferlement de malheur. Une petite réserve de ma part : les couleurs accordées à chacun des personnages, qui permettent d'attribuer les dialogues à qui de droit (grâce à un marque-page en forme de pense-bête) sont parfois un peu proches les unes des autres, surtout quand les bulles se superposent à des arrières-plans unis. J'ai un peu galéré à m'y retrouver dans la polyphonie. Ou à interpréter certaines petites vignettes trop hermétiques à mon goût. Mais cela ne m 'a pas empêchée d'apprécier l'expressivité de l'ensemble, la maîtrise des perspectives, le travail sur les physionomies et l'usage psychologisant des couleurs. Bref, une bonne lecture.

Créée

le 6 juin 2021

Critique lue 109 fois

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