Fany, le personnage principal, a vécu un drame, et les auteurs nous entrainent dans son deuil et sa dépression. Ils réussissent à nous faire ressentir, psychiquement et physiquement, son état.
Tout a volé en éclat, ce qui était la vie est maintenant éparpillé. Le monde est cassé en mille morceaux qui jonchent le sol. Tout n’est plus que petits cailloux à terre. Fany a choisi de se reclure dans un camping presque désert dont le gardien s’appelle Pierrot. Elle vient ajouter sa solitude à d'autres solitudes.
La vie a quitté les corps, qui sont vidés de leur contenu et de leur sens, tels des mannequins en plastique que l’on voit reposer démembrés sur le sol. Les êtres, qui ne communiquent plus vraiment entre eux, tentent même de se fondre avec la terre, dans un simulacre d’acte sexuel ; ils deviennent fossiles. Les visages paraissent presque transparents. Comme les trois autres personnages du camping, Fany est souvent représentée de dos, dans un plan serré sur sa nuque, et nous ressentons son état de sidération, le vide qui l’habite maintenant. La différence entre les êtres et les choses s'est amenuisée.
C’est l’hiver. Il n’y a pas une feuille sur les branches des arbres. L’eau du petit ruisseau est immobile. La nature est morte et bientôt recouverte de neige. Surtout, le temps s’est ralenti. Plus rien de bouge. Le découpage des cases nous fait perdre la notion du temps. C’est le ralentissement typique de la dépression. Le bûcheron, bien que très statique lui aussi, symbolise la violence et la mort.
Comment s’élever du sol glacé ? Comment recoller les morceaux et sortir de cet état minéral, de cette pétrification ? Le gardien du camping fait des puzzles représentant des paysages qui le font voyager. Le couple de retraités sans argent, Gina et Jean, est passionné par les oiseaux, dont ils attendent le retour. Le bûcheron cherche une idée saugrenue pour partir du camping.
Finalement, Fany n’est peut-être pas la plus fracassée de tous. Et puis, un merle veille sur elle depuis son enfance. Lui aussi, il est seul, mais il donne une image de courage et d'optimisme.
« … au plus profond de la nuit, [il] prend ses ailes brisées et apprend à voler » (Blackbird, The Beatles).
C’est une BD qui ne fait pas envie quand on la feuillette, en raison de l’apparente austérité du dessin. Pourtant, dès le début de la lecture, on est emporté par sa force et son caractère hypnotique. C’est une œuvre qui mérite également d’être lue pour la richesse des symboles qu’elle manie : en plus de ceux que j’ai mentionnés, il y aurait des choses à dire sur les couleurs, les clôtures, les gouttes d’eau et de sang, et d’autres éléments visuels qui servent de fil conducteur au récit.
Fauve d'or, Prix du meilleur album du FIBD d'Angoulême 2017.