Critique de Shaynning
Second opus de la série qui a gagné le Prix des Libraires du Québec dans la catégorie BD étrangère, "L'ombre de l'oiseau" est plus sombre et profond, mais prend place dans un monde plus élaboré,...
Par
le 23 oct. 2022
4 j'aime
Comics de Anthony Silverston, Raffaella Delle Donne, Willem Samuel et Willem Samuel (2022)
Incontournable Août 2022
Une sympathique trouvaille au rayon de la BD jeunesse Intermédiaire, avec ce tome unique mettant en vedette une jeune fille attachante et rafraichissante qui devient amie avec une sorte de kraken, aussi affectueux qu'imposant.
Pearl habite un petit village côtier qui semble devenu bien pauvre. Comme son père travaille au mieux pour arriver à payer leur toit et leur nourriture, Pearl est souvent seule. Grande amoureuse de la mer, elle plonge pour trouver des fruits de mer qu'elle peut revendre. Un jour, alors qu'elle découvre une épave au fond d'une zone interdite, elle fait en même temps une trouvaille de taille en la personne d'Otto, un immense céphalopode. La pauvre créature est criblée de harpon. Quand Pearl tente de l'appâter pour en tirer profit, ses manoeuvres finissent par tourner au sauvetage. Dès le moment où elle parvient à extraire les harpons, la créature se montre étonnamment amicale et dotée d'une grande intelligence. Même sa couleur de base, un violette pâle un peu maussade, vire au bleu électrique quand il est en la présence de Pearl. C'est le début d'une grande amitié, mais comme toutes les histoires de monstres, les avares et les braconniers ne sont jamais bien loin.
Déjà, je dois dire que j'adore Pearl. Elle a une dégaine charmante, avec des cheveux en épis visiblement incoiffables, de grands yeux expressifs, un style décontracté et des mimiques comiques. C'est un "poisson", une excellente nageuse. Sa locomotion change d'ailleurs dans l'eau, elle devient plus souple, plus fluide. Sa combinaison est classe, également. Pearl est une enfant qui se sent délaissée et cela va faire d'elle une ado débrouillarde, audacieuse, mais aussi peu sérieuse quand à ses études et solitaire. Elle a du mal à accepter les départ de sa mère, dont elle garde un bracelet. Il y a aussi Naomi, cette jeune fille qui est sa voisine de pupitre, pour qui elle semble avoir le béguin, mais avec qui il est difficile pour elle de parler. Pearl semble avoir une certaine maladresse avec la socialisation et semble avoir l'impression de ne pas être assez bien pour les autres, surtout avec un père absent et une mère disparue. Heureusement, elle gagne l'amitié d'Otto et elle a aussi Moby ( Oh, la référence à Moby Dick, fort à propos) , un adorable chien qui n'a qu'un oeil. J'aime beaucoup la représentation de l'héroïne sur la couverture, avec cette belle carrure d'épaules, et cette pose décidée.
Otto, oh cet adorable grosse pieuvre, franchement, je vous met au défis de ne pas le trouver à croquer, ce personnage! Otto a une faculté étrange lui permettant de changer de couleurs avec son humeur. Quand il est en mode défensif ou qu'il est en colère, il prend une alarmante couleur écarlate et sa peau se hérisse de pointes. Au repos, il a une triste nuance rosette et quand il est heureux, c'est le bleu éclatant électrique mentionné plus haut. Ses yeux sont très expressifs et ses tentacules font office de mains. La case où Pearl trouve un coquillage à offrir à Naomie, alors qu'Otto fait exactement le même geste avec le même regard appréciateur avec un requin blanc était hilarante: "Oh, le beau coquillage! "Oh, le bel encas!" Hihihi - pauvre requin. Otto est très probablement un kraken, un peu plus petit que certaines représentations déjà exprimées dans d'autres oeuvres, mais assurément plus sympathique. Victime de sa taille et manifestement un rare spécimen, il a été la proie de marins peu scrupuleux.
L'histoire en soit est relativement déjà vue, avec un personnage atypique rencontrant un "monstre" et devra le protéger d'humains sanguinaires. Mais ce n'est pas tant l'histoire que son traitement que j'ai apprécié. Même les histoires simples peuvent être magiques quand on y met la bonne dose d'humour et de sensibilité. Pearl et Otto sont différents et méfiants de ce fait, deux éléments qui se font écho entre eux deux. Certains éléments sont un peu faciles, comme le fait que les braconniers ont utiliser une seule fléchette soporifique pour endormir Otto et je me demande comment ils sont parvenus à le mettre dans leur bateau vu sa masse considérable. Je me demande aussi si on peut réellement nager si longtemps sous l'eau avec un simple tuba, mais comme je n,ai aucune expérience en la matière, j'ignore si c'est plausible. Les évènements s'enchainent bien, mais là encore, peut être un peu facilement sur certains points. Enfin, la transition entre le projet de Pearl a pécher Otto et son changement d'idée pour lui venir en aide manquait de clarté, car à aucun moment elle nus informe de son changement d'avis.
Reste que c'est une jolie histoire, visuellement attirante. Je souligne aussi que Pearl est gay, on a donc une petite romance entre filles ici, mais rien de majeur. C'est cependant toujours une joie de voir la diversité mise de l'avant. Enfin, certains trouveront "facile" la réaction du père de Pearl, quand il la suit dans sa tentative de sauver Otto, mais en même temps, c'est exactement ce qu'il faut à Pearl: un papa qui se montre présent. Ce dernier fait visiblement de son mieux pour sa fille et il est bon de présenter aussi ces parents qui savent que certains évènements requiert leur inconditionnelle présence. En cela, je trouve donc le choix de cette réaction logique et censée.
En fond de trame, nous avons l'enjeu de la pauvreté. le braconnage marin est rependu dans le monde et revient bien souvent au facteur de la pauvreté. Je remarque à la couleur de peau des habitants qu'il semble y avoir les "natifs" et les "colons blancs". Nous sommes peut-être dans ces endroits du monde où le colonialisme a eu des effets délétères. En outre, on assiste à ce qu'on appelle une "parentification" quand un jeune, enfant ou ado, a des responsabilités et/ou des préoccupations qui incombent normalement aux adultes. En ce sens, ce n'est pas "normal" que Pearl "travaille" a payer les dettes de leur foyer. Ce n'est pas un jugement, c'est un constat et il est souhaitable de représenter ces jeunes qui se retrouvent dans cette situation.
Graphiquement, c'est dynamique, fluide, souvent comique. Certains traitement, comme les hachures en fond ou les cases obliques, me rappelle certaines Bd de super héros. Les éclaboussures sont un peu moches car elles sont monochromes et triangulaires. En revanche, les transitions de couleurs et les palettes de couleurs sont magnifiques. le fait de garder le trait noir pour les personnages et les objets, de ne pas les utiliser pour les décors, est un bon choix. Cela rend le tout plus doux. Les positions corporelles sont variées et dynamiques. Certaines scènes font pleine page, parfois double-page, comme la scène dans le musée où Pearl et Naomi partage un moment au fond d'un abysse, où les silhouettes sont en bioluminescence 9 joli!) et certaines scènes avec Otto, dans lesquels on cerne mieux son immense gabarit et sa force colossale. Enfin, j'aime le traitement couleur du ciel, surtout les transitions du crépuscule et de l'aurore.
Donc, malgré quelques petites choses qui auraient pu être retravaillées, dans l'ensemble, j'aime le style de la BD, l'humour présent et l'amitié touchante entre deux êtres atypiques. Une BD qui montre également que les filles aussi peuvent être courageuses, surtout aux garçons qui ont encore du mal à choisir des BD ayant une héroïne comme personnage principal.
À voir!
Pour un lectorat à partir du troisième cycle primaire, 10-12 ans.
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Créée
le 28 août 2022
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