Au coeur des années Dutroux

L’histoire se passe en Belgique, au milieu des années 90. A cette époque, Mathilde et Valentine sont deux petites filles insouciantes, qui profitent de la vie sans trop se poser de questions. L’une aime s’inventer des histoires avec ses Playmobils ou avec ses poupées, tandis que l’autre rêve en observant le ballet des insectes dans le jardin. Elles ne se connaissent pas encore mais, chacune de leur côté, elles vivent une certaine magie du quotidien. Ce qu’elles aiment par-dessus tout, c’est passer une après-midi avec leur meilleure amie ou écouter une histoire racontée par leur maman. Rien de très extraordinaire, en somme: Mathilde et Valentine ont les mêmes envies que tous les enfants de leur âge. Mais petit à petit, leur monde change. Inexorablement, la magie s’évanouit pour laisser place à une menace sourde et invisible. Au début, ce sont des phrases prononcées par les adultes qui interpellent les deux filles. Même si leurs parents tentent de faire comme si de rien n’était, elles les entendent clairement dire qu’il y a des enfants qui disparaissent. Et elles voient bien que leur père s’agite en lisant le journal. Ensuite, ce sont leurs camarades de classe qui changent d’attitude. Lorsque Mathilde et sa soeur demandent à une de leurs amies pourquoi elle a maintenant des barrières autour de son jardin, celle-ci leur répond: "C’est pour pas qu’on m’enlève. D’ailleurs, faites attention. Mon père dit que deux gamines dans la rue, c’est comme jeter deux saucisses aux chiens". Lentement mais sûrement, la peur s’installe chez tout le monde. Plus question pour les parents de laisser encore leurs enfants se promener seuls. D’ailleurs, ceux qui le font sont considérés comme totalement irresponsables. Désormais, les petites filles ne peuvent plus sortir, parce que "la rue c’est dangereux"…

Tous ceux qui ont vécu en Belgique durant les années Dutroux se souviennent de l’ambiance très particulière de cette période. Tous les parents de l’époque ont ressenti la même inquiétude, le même espoir et le même chagrin que les parents des filles enlevées et tuées par le criminel le plus tristement célèbre de la fin du XXème siècle. Tous les enfants et les adolescents de l’époque ont eu peur à un moment donné de se faire à leur tour kidnapper sur le chemin de l’école. Les années Dutroux ont marqué la fin de l’innocence pour un pays entier et ont instauré un climat de méfiance qui n’a jamais totalement disparu depuis lors. Dans "Pendant que le loup n’y est pas", Mathilde Van Gheluwe et Valentine Gallardo s’appuient sur leurs propres souvenirs d’enfance pour faire revivre cette période de manière très délicate. Dans ce roman graphique en noir et blanc, réalisé entièrement à quatre mains, les deux autrices ne mentionnent jamais explicitement Marc Dutroux ni ses horribles méfaits. C’est par petites touches qu’elles nous replongent dans cette époque de désenchantement, en prenant d’abord le temps de rappeler comment se déroulait la vie quotidienne avant l’apparition du prédateur d’enfants. Publié une première fois en janvier 2016, "Pendant que le loup n’y est pas" était devenu quasiment introuvable depuis lors. Heureusement, les éditions Atrabile ont eu la très bonne idée de le rééditer en lui donnant une nouvelle maquette. L’occasion de redécouvrir un livre sensible sur une période particulièrement sombre de notre histoire récente.

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