Une amie m'a conseillé la BD, j'ai donc fini par me la procurer, malgré le fait que je n'ai jamais aimé me retrouver à une table entouré de nombreux hommes, dans la réalité ou la fiction, et que je fuis de plus en plus ces occasions, qui deviennent exceptionnelles. Je m'y sens mal à l'aise, pas dans mon univers. Lors de ces soirées, les sujets profonds sont mis de côté (effet de groupe) et le sexe, si on doit aborder le sexe, sera souvent graveleux et nos partenaires sali.e.s.
Sept hommes racontent donc leur sexualité autour d'une table. Leurs orientations sexuelles sont multiples. Ils partagent ainsi avec les lecteurs et les lectrices, en 6 chapitres, sur ces différents sujets : la masturbation, l'orientation sexuelle, le pénis, l'orgasme, les fantasmes et la performance.
La bataille pour remporter le titre de celui qui a la plus grosse/la plus longue est un éternel recommencement, et toujours aussi épuisante. Dans les cases présentées ici, le combat n'est pas évité non plus. D'abord, littéralement, en comparant leurs bites avec des légumes choisis, sélectionnant tous de (très) grands légumes. Autant être fiers du sexe que la nature nous a donné. Pourtant, à faire les malins, il suffirait de la montrer, et le "débat" serait clos. Quand un du groupe souhaite la prendre en photo, et l'envoyer à tous, c'est la débandade... Pourquoi tant de mystère ? Et leurs doigts, pourquoi ne pas les comparer aussi ? Et leurs langues?
Et puis, au nombre de partenaires : ainsi, de tous les hommes présents, celui avec le moins de partenaires en a eu 35-40 et celui qui se vante le plus parle d'une fourchette allant de 1500-1800. Je ne sais pas de quel monde ils proviennent, et je veux bien les croire, mais ce n'est pas ma réalité ni celle de la majorité de mes potes. Ce sont des informations qui pourraient en frustrer plus d'un, surtout un jeune garçon découvrant sa sexualité, de penser que c'est la "norme". De nouvelles injections à performer ? Dès lors, peut-être faut-il prendre avec des pincettes ce qui est raconté dans cet album, Pénis de table.
Le récit est vite établi : Cookie Kalkair (ou Charly) pose une question, autour d'une table, et chacun y répond à sa sauce. Tous y vont de leur petite anecdote. Puis, l'auteur revêt le costume du schtroumpf à lunettes et explique, de manière parfois un peu systématique, à l'aide de statistiques, de graphiques, de références pop où en serait "la norme" actuelle en France. Il n'y aura pas de discussion poussée sur le patriarcat, ou ceux qui créent les normes, y compris sexuelles (à écouter et/ou lire, Victoire Tuaillon : https://www.binge.audio/podcast/les-couilles-sur-la-table).
La BD se lit très vite, fait sourire/rire de temps à l'autre... et s'oublie peut-être aussi rapidement. C'était comme si le lecteur était une mouche, et qu'il avait pu surprendre ces hommes autour d'une table, lors d'une soirée arrosée.
Le dessin est basique et ne quitte pas la table. Niveau sexualité, autant les mots sont "honnêtes" (comme on peut l'être autour d'une table, entouré d'autres gars), autant les images sont pudiques. Les protagonistes sont costumés différemment dans chaque chapitre, inclus dans toute sorte de situations spatio-temporelles (la plage, l'espace, la préhistoire, etc.). Le registre couleur évolue aussi. Il semble cependant ne pas y avoir de pensée globale autour de l'album, la palette colorée évoluant sans nécessité scénaristique.
Il faut dès lors prendre l'album Pénis de table pour ce qu'il est : une agréable introduction à une sexualité qui se veut ouverte et libérée. Si on s'intéresse réellement au sujet, depuis quelques temps, nous n'y apprendrons pas grand chose. Ici, sont posées les bases. L'hétérosexualité est une sexualité comme une autre, certains ont des prépuces et d'autres non, l'orgasme atteint via la stimulation de la prostate est incomparable aux autres et bien plus intense, etc. Même si, nous l'avons vu plus haut, l'album a tendance peut-être à réinstaurer de nouvelles normes, tout en souhaitant paraître cool et décomplexé (il faut avoir une belle bite en forme de légumes qui poussent en longueur, beaucoup de partenaires, etc.)
On s'en contente, on partage nous aussi, mais on aurait pu espérer davantage, ou rêver à plus. Quand le prénommé Francis se lance dans un monologue promouvant le dépassement des concepts de "virilité", de "féminité" parce qu'ils ne collent pas à la réalité d'aujourd'hui, d'après lui, pour parler à la place de relation d'écoute entre deux êtres, on applaudit nous aussi. Cependant, je ne sais pas où il vit, et on a beau lire et voir avec plaisir des articles, des podcasts, des livres, des films sur le sujet, l'homme blanc hétérosexuel mène toujours la danse et doit/devrait continuer à interroger ses pratiques, avec d'autres hommes, bien sûr, pour débuter, mais pour mieux ensuite dialoguer avec d'autres femmes et toutes autres personnes par la suite.