Avec Pereira prétend (2016), Pierre-Henry Gomont adapte avec brio le roman de Antonio Tabucchi pour en faire une œuvre graphique à la fois puissante et poétique. Ce récit, qui se déroule dans le Portugal fasciste des années 1930, est une ode subtile à la liberté, à la résistance, et à la lente métamorphose d’un homme ordinaire pris dans un monde oppressant. Préparez-vous à une lecture où les silences en disent autant que les mots, et où chaque page résonne comme un acte de bravoure feutré.
Le protagoniste, Pereira, est un homme simple : un journaliste vieillissant, nostalgique, et plutôt désabusé, qui dirige une rubrique culturelle dans un journal de Lisbonne. Mais lorsqu’il croise la route de Monteiro Rossi, un jeune écrivain engagé, et de sa compagne Marta, son univers tranquille commence à s’effriter. Ce qui commence comme une chronique douce sur un homme qui aime la littérature se transforme en un récit poignant sur la prise de conscience et l’engagement.
Pereira est un héros inattendu, un personnage qui fascine par sa passivité initiale et son humanité désarmante. C’est un homme qui ne cherche pas à devenir un symbole, mais qui, poussé par ses convictions naissantes, finit par incarner une forme de résistance à la brutalité du régime. Sa transformation, lente mais irréversible, est racontée avec une finesse qui évite tout pathos ou manichéisme.
Visuellement, Gomont réalise une prouesse. Les dessins, aux couleurs chaudes et aux traits expressifs, capturent l’atmosphère étouffante du Lisbonne des années 30 tout en laissant respirer la poésie du récit. Les jeux de lumière, les contrastes entre les rues baignées de soleil et les intérieurs sombres, reflètent parfaitement l’état d’esprit de Pereira : un homme pris entre la chaleur apaisante de la routine et l’ombre inquiétante de la dictature.
La narration, quant à elle, est d’une fluidité remarquable. Gomont alterne habilement entre des dialogues ciselés, des moments introspectifs, et des scènes d’action discrète mais chargée de tension. Le rythme, bien dosé, accompagne parfaitement l’évolution de Pereira, de son indifférence initiale à son éveil moral.
L’un des aspects les plus frappants de Pereira prétend est la manière dont Gomont capture l’esprit du roman tout en y apportant sa propre sensibilité. Les thèmes de la censure, du courage, et de l’engagement sont abordés avec une profondeur et une nuance qui rappellent l’œuvre originale, tout en exploitant pleinement les possibilités visuelles de la bande dessinée.
Si l’histoire peut sembler contenue, c’est justement cette retenue qui fait sa force. Gomont ne cherche pas à amplifier les émotions ou à rendre les événements plus spectaculaires qu’ils ne le sont. Tout repose sur la subtilité, les non-dits, et la puissance des petits gestes.
En résumé, Pereira prétend est une œuvre magistrale où Pierre-Henry Gomont sublime le récit d’Antonio Tabucchi avec une narration visuelle saisissante et une sensibilité rare. À travers la transformation d’un homme ordinaire, cette bande dessinée devient un hommage intemporel à ceux qui osent dire non, même à voix basse. Une œuvre lumineuse et nécessaire, où chaque case est un rappel que la résistance commence par un murmure.