La mort du petit Grigori.
Thriller historique, expression qui décrit parfaitement "Petrograd", tout en restant fort vague. Je ne saurais affirmer que l'Histoire est parfaitement retranscrite (mais qui donc le peut ?), mais je puis au moins dire que c'est un comics de qualité et particulièrement documenté.
Parce qu'il est aisé de simplement synthétiser les informations existantes à propos d'un personnage et de proposer un récit vaguement historique, mais "Petrograd" opte pour un point de vue original (celui d'un espion anglais crée pour les besoins de l'histoire) tout en s'appuyant sur les spécificités-mêmes du 9è art.
Personnages estompés et ombreux, couleurs passant par toutes les teintes du rouge, aquarelle et un ensemble crasseux, authentique et pourtant esthétique, un style que l'on pourrait décrire comme du Bastien Vivès plus travaillé, "Petrograd" a au moins le mérite d'être beau, de faire plaisir aux yeux et d'utiliser intelligemment son format et ses possibilités. La glace qui se brise, et les ténèbres qu'elle protège séparés distinctement, un feu de camp révolutionnaire et imposant éclaté en plusieurs cases : plusieurs fois la simple composition de l'action fera mouche de par son élégance et son efficacité.
Cependant, ce qui prime dans un bon thriller, c'est une intrigue accrocheuse, une tension palpable et une certaine noirceur. Encore une fois, le tout fonctionne très bien, et la figure quasi mythologique de Raspoutine permet un scénario bien mené, puisque sa mort reste aujourd'hui encore quelque peu mystérieuse.
Il est vrai que le début est un peu lent, fouillis, trop complexe au fond, tentant de présenter une Russie crasseuse et ravagée par la guerre, des problèmes de l'ordre de la géopolitique mondiale et des intrigues plus privées entre personnages : on ne comprend pas trop où les auteurs veulent en venir. Puis peu à peu, on se concentre sur Cleary, espion officiant pour la couronne britannique et sur le fameux complot entourant la mort de Raspoutine, et le tout devient peu à peu palpitant. Parce que comme le héros, on se sent oppressé dans cette Russie complètement folle et dépassée par les événements, parce que comme lui on ne sait pas ce qu'il faut faire, qui a raison, et même si contrairement à lui, on sait quelles répercussions tout cela aura sur le monde, il est difficile de prendre position.
Comme lui, le lecteur est pris à la gorge et tout va finalement trop vite, le comics s'arrêtant dans un chaos semblable à celui dans lequel il avait débuté. Et la lecture vaguement ennuyeuse du début aura laissé place au thriller politico-historique vraiment efficace de la fin. Une réussite en somme.