Je dirais qu'il y a trois manières de noter un produit culturel : au feeling pur, partir d'une note parfaite et retrancher des points en fonction des défauts ou l'inverse. Et selon le point de vue, toute note me parait approprié pour ce GTA V, tant il est riche, tant il est dense, et tant il est aisé de l'aimer comme de le détester. Parce qu'avec un gameplay aussi foisonnant, il était difficile d'éviter quelques écueils.
De prime abord, GTA V semble être le jeu ultime, le titre le plus complet sorti jusqu'à ce jour et aucun défaut ne semble exister. Son prédécesseur, bien trop mésestimé, semble surpassé sous tous les points, et ses petits problèmes corrigés. Que ce soit la présence d'avions, la world map gigantesque et variée ou la diversité des activités proposées, tous ceux qui avaient boudé GTA IV ne pouvaient qu'être satisfaits. Et pourtant on y perd quand même sur certains aspects.
Que ce soit dans Red Dead Redemption ou les anciens GTA, difficile de nier que le héros était souvent un larbin prêt à accomplir la moindre tâche pour peu qu'on lui demande, sans trop se soucier de ses intérêts propres. Pas de ça dans le cinquième opus, pense-t-on, jusqu'à ce qu'on découvre les missions du FBI, qui représentent presque la moitié du jeu, et durant lesquelles les héros se taperont 36 quêtes vaguement intéressantes, souvent basées sur des fusillades loupées. Loupées, parce qu'elles reprennent tous les codes de Call of Duty (scripts à outrance, couloirs, objectifs trop précis et ennemis foisonnants) sans avoir forcément un gameplay adapté pour. Et quand la plupart des missions finissent par n'être plus que des génocides ennuyeux, hé bien l'ennui prend le dessus.
Mais revenons au côté larbin des héros précédents, c'était surtout un prétexte pour introduire des personnages tous plus fous les uns que les autres, et à des dialogues extrêmement savoureux. Et si Trevor fera illusion quelques heures durant, le faible nombre de protagonistes dans cette grande tragédie finira par lasser, à force de ne développer que les trois héros principaux, leurs sidekicks fades et leurs quelques antagonistes prévisibles et pas vraiment intéressants. J'en viens à regretter ces Irlandais complètement fous qui voulaient faire le casse du siècle, Brucie qui nous racontait ses problèmes d'hormone, le fossoyeur débile de Red Dead et tous ces persos complètement allumés et limite hors-sujet qui apportaient une touche de légèreté à la plupart des missions.
La contrepartie évidente, c'est que les personnages principaux sont plus mis en avant et sont plus développés. Mais sont-ils pour autant intéressants ? Autant Michael est charismatique, drôle et vraiment pertinent de par son rôle de quarantenaire-adolescent-attardé-colérique, autant les deux autres sont au final bien fades. Franklin est l'archétype du jeune de banlieue un peu paumé et vaguement gangsta (déjà vu avec CJ), Trevor est un psychopathe plutôt rigolo au début, mais qui peine à renouveler son répertoire humoristique, et sa vie est tristement vide et sans intérêt. C'est d'ailleurs marquant de par le fait que seul Michael a des missions en lien avec sa vie privée, et lui seul semble au final bénéficier d'un réel développement et d'une évolution psychologique. Il aura compris des choses, sa vie aura changé et ses progrès vis-à-vis des autres et de sa famille seront vraiment gratifiants à voir. Il semble au final être le seul véritable héros de l'histoire, comme pouvaient l'être John Marston, Niko ou encore Tony dans les autres productions Rockstar. Et je pense que c'est ça l'intérêt du scénario de ces jeux : l'évolution psychologique des personnages au travers de leurs aventures rocambolesques, ce sont au final des quêtes initiatiques plus proches du roman-fleuve que du film d'action.
Qu'on ne s'y trompe pas, le jeu est quand même remarquablement écrit, et que ce soit les publicités radio, les messages de Jimmy (qui pastiche savoureusement toute la "culture geek" et ses travers) ou tout l'univers-même du jeu, on ne peut qu'être ébahi devant le travail accompli, devant autant d'audace et d'imagination, puisque tout est factice et parodié. Et pourtant incroyablement cohérent. Mention spéciale pour LifeInvader, au nom si truculent. Et plus globalement, je n'avais jamais vu un jeu qui poussait le souci du détail aussi loin, au point qu'il existe même une bourse, et qu'on puisse ... spéculer.
Et si je raillais plus tôt les fusillades fastidieuses, certaines missions sont véritablement réussites, comme celles qui proposent justement des assassinats de PDG pour faire chuter la cote en bourse d'une entreprise : ce genre d'interactions dans un jeu, c'est complètement fou ! Et si les objectifs des autres missions sont plus classiques, comme des courses poursuites, des fuites, des massacres à perpétrer ou même des braquages, la diversité des décors, la pléthore de véhicules et de possibilités fait qu'on peut passer d'une exploration des fonds marins à une fuite en dinghy sur des flots enragés en passant par une course à travers les forêts montagneuses en moto en l'espace d'une heure. Alors, même si le fond du jeu reste le même, ce fabuleux décor qu'est l'île de San Andreas permet au jeu une diversité de situations rarement vues. Clairement une bonne chose après le trop urbain GTA IV.
Et si les missions ne sont pas toutes géniales, GTA est l'un des rares jeux où l'on peut vraiment s'amuser grâce à l'open world. Que ce soit les diverses activités plus ou moins intéressantes, ou la simple découverte du monde (à pied, en voiture, en VTT, en avion), le jeu reste toujours passionnant. Et chacun est capable de s'y amuser, c'est pour ça que je le considère comme un "jeu vidéo total" : passionné comme amateur trouveront un intérêt dans le soft, que ce soit le scénario, la récolte d'un maximum d'étoiles de flics ou l'escalade d'une montagne en moto : le jeu est tellement complet, tellement riche que je ne pense pas que quelqu'un puisse n'y trouver aucun intérêt et ne jamais s'y amuser. Et à ce niveau, c'est tout simplement fabuleux.
C'est pour ça que, malgré les quelques aspects négatifs que je souligne, j'ai choisi de lui octroyer un 9/10, parce que fatalement, plus le jeu est dense, plus il est facile d'y trouver des défauts. Mais quand on a de telles qualités...
Qu'on l'aime ou pas, c'est tout simplement l'un des plus grands jeux vidéo jamais produits.