Cette édition de 1972 que je possède contient une préface de René Goscinny qui décrit comment Fred venait dans son bureau du journal Pilote lui raconter ses histoires mirifiques. Après un prequel intitulé Avant la lettre, qui introduisait l'univers et les personnages, cet album marque le premier grand démarrage de la série, c'est le premier récit long de Philémon qui fait découvrir au lecteur le monde parallèle extraordinaire des lettres du mot ATLANTIQUE, chacune formant une île, où le jeune héros est projeté par hasard par le simple puits de son champ.
L'île du A, première lettre, le premier A est une île qui n'existe pas et où tout peut exister. Philémon y rencontre pour la première fois Monsieur Barthélémy le puisatier échoué ici depuis 40 ans en creusant un puits ; c'est une sorte de vieux bonhomme, un doux dingue avec une silhouette de Robinson, et d'ailleurs Fred a brodé dans ce premier épisode, sur le roman Robinson Crusoë. Philémon et Barthélémy tentent d'atteindre le T, puis le L et enfin le second A, car qui est entré par le A, sortira par le A.
Comme vous le voyez, il est quasiment impossible de résumer une histoire de cette BD tant elle est insolite, c'est quasiment inracontable. C'est un véritable feu d'artifice d'inventions poétiques et surréalistes qui affecte autant le contenu du récit que sa forme, c'est du rêve tout éveillé où Fred fait preuve d'idées incroyables basées sur un aspect très imaginatif, qui créent une drôlerie détachée. Quand on a décidé de pousser la porte du monde façonné par Fred, il faut s'attendre à voir surgir un piano sauvage, un château suspendu, des buffets-carnivores, des zèbres-geôles, des arbres à bouteilles... et se laisser bercer dans ces univers extraordinaires.
Le dessin qui ne se réclame d'aucun style, participe également à cette féerie imaginative ; ici, il n'est pas encore très au point, avec des petites erreurs de proportion, mais il est nettement supérieur à l'album précédent qui pose les bases de la série. Il y a un clin d'oeil au radeau de la Méduse, et les couleurs typiques des années 70 pourront surprendre les lecteurs plus jeunes. Les personnages sont aussi très drôles dans leur caractère : surtout le père de Philémon, un brave paysan rustre au bon sens inné, qui reste incrédule et perplexe devant l'infinie richesse de narration de son fils ; on trouve aussi Vendredi le centaure grincheux, le capitaine d'une bouteille-navire, et l'oncle Félicien avec sa lorgnette magique qui en sait plus qu'il ne veut en dire.
Le récit totalisant 28 planches, en complément, on trouve 2 récits courts parus dans Pilote en 1965, avec Philémon et des personnages qui voyagent dans le temps, puis un autre sur des animaux sculptés toujours aussi déroutants. Cet album est donc un vrai délice, un festival poétique et onirique à déguster absolument.