Ça commence par un corps retrouvé dans un appartement. Aucune trace de violence, on pense à une crise cardiaque ou un suicide. Le lendemain, une femme s’écroule en se rendant dans les toilettes d’un café. Puis c’est un joggeur qui casse sa pipe en plein effort, un homme mort en sortant de la douche dans son club de sport, une autre femme dans un salon de coiffure… Après analyse, on découvre que toutes les victimes ont été empoisonnées. Leur point commun ? Elles travaillaient pour des banques impliquées dans la crise financière ayant ruiné des millions d’Espagnols. Suffisant pour que la police privilégie la thèse d’une sombre vengeance et se lance sur les traces d’un serial killer…
« Un polar social » annonce la quatrième de couverture. Il y a de ça, évidemment. Mais c’est aussi un plaidoyer très politique et très anticapitaliste, une prise de position engagée et assumée contre les banques et plus généralement les financiers qui s’enrichissent sur le dos du petit peuple. Après, le déroulement de l’enquête importe moins que les motivations qui ont poussé le(s) coupable(s) à agir. D'ailleurs j’ai beaucoup aimé les échanges entre l’inspectrice de police et le « cerveau » des meurtres, les arguments qu’ils s’opposent, leurs visions de la justice et du « système » avec, en arrière-plan, des questionnements autour de l’éthique, la décence, la dignité et la responsabilité.
Loin de l’esthétique léchée et des couleurs expressives d’Ardalén, Miguelanxo Prado donne ici dans la sobriété avec un trait un peu austère et des cadrages sans fioriture, comme s’il voulait éviter au lecteur de se disperser pour qu’il se concentre sur l’intrigue et rien que sur l’intrigue. Le pari est réussi, surtout quand on sait que le dessinateur a travaillé sur cet album à la peinture acrylique, uniquement avec du noir et blanc sur un papier de couleur grise. Pour le coup, le résultat est assez bluffant.
Proies faciles, c’est les vieux fourneaux version hardcore, l’humour en moins parce qu’il n’y a vraiment pas de quoi rire de cette tragédie. Le propos est sans équivoque, le parti pris ne laisse place à aucune ambiguïté sans pour autant sombrer dans la caricature. Un exercice d’équilibriste en tout point réussi.