Par souci d'intégrité (et sachant que malgré mes faibles efforts, Promethea, ô Déesse pour laquelle mon admiration ne fait que grandir, restera malheureusement un délit d'initié, une oeuvre des marges, j'avoue mon crime : La page concernant la série toute entière à l'époque de la rédaction de cette critique n'existant pas, je l'avais écrite sous le volume 1. Je la transpose ici sans vergogne, en espérant que Promethea me le pardonnera.


C'est la larme à l'oeil que je dévorai le dernier volume de Promethea.
Cette étrange série, balayée du revers de la main par bon nombre d'amateurs de comics à cause de son rythme particulier, est peut-être la plus personnelle d'Alan Moore, de son propre aveu, offrant au lecteur plus qu'une histoire, qu'un comics, partageant avec lui son regard éclairé sur la magie, son rôle essentiel dans la création narrative, son omniprésence dans le monde artistique comme dans la "vraie" vie.


Promethea est une histoire. C'est aussi une héroïne. Pour l'invoquer, il faut l'écrire, la décrire, la dessiner, la raconter.
Il y a identité entre Promethea et le corpus des histoires dans lesquelles elle intervient.
Et chaque auteur crée une version différente de l'héroine d'essence magicke, divine, protégée d'Hermès-Trois-Fois-Loué et d'Horus.


Après un prologue mystique et troublant, posant d'office le fait que l'on va vivre quelque chose qui sort des sentiers battus (et rebattus), Moore nous invite dans un monde futuriste, une mégalopole présentée avec un certain humour, peuplée de personnages atypiques aux caractères bien trempés, et l'on suit quelques pages la jeune Sophie, étudiante ayant décidé de faire de Promethea son sujet d'étude, avant que celle-ci, comme le lecteur, ne soit propulsée à la lisière du mythe et de la réalité, bien plus perméable qu'on le penserait de prime abord.
Si la première partie de la série, le premier "arc narratif" disons, est traité avec un respect relatif des codes du comics, une héroïne affrontant des adversaires dangereux (néanmoins échappés de la Goetia, grimoire particulièrement puis,sant et chargé d'une des magies les plus noires dont s'est notamment servi, entre autres, Aleister Crowley lors de son voyage en Egypte), celle-ci se lance réellement lorsque Moore s'affranchit complètement desdits codes pour s'aventurer dans son propre monde, celui de l'imaginaire, de la magie, qui tissent la trame de la réalité, son épaisseur.


Les thèmes abordés sont Légion, on croise ledit Aleister Crowley plusieurs fois, à différents stade de sa vie, de son parcours initiatique, le mage Abramelin, les Dieux et Déesses grecs, Alan Moore lui-même, Austin Osman Spare, autre grand mage du début du 20eme siècle dont la magicke contemporaine s'est grandement inspirée.
On nous parle de tarot, de l'Arbre de Vie de la kabbale juive, d'archétypes jungiens, entre deux histoires de supervilains terrorisant la population de la cité futuriste, cadre immuable de l'histoire, lorsque cette dernière se déroule sur le plan matériel.


Une histoire qui nous rapproche comme jamais de l'essence du mythe, de la moelle de ce qu'est une Histoire.
Alan Moore nous transmet ici ses vertigineuses connaissances dans les domaines ésotériques mentionnés plus haut, nous contamine par son génie créateur, et nous offre un moment de réelle et pure magie, dans tous les sens du terme.


La mise en image qui évoque parfois les meilleures planches de Little Nemo (dont l'audace n'a pas pris une ride malgré son centenaire révolu), et qui se renouvelle à chaque épisode.
Lorsqu'avec Promethea nous traversons les Sephira de l'Arbre de Vie, chaque chapitre illustre par son propos et par son dessin un archétype d'une profondeur difficile à définir, à réduire, à expliquer, et l'ensemble, de par sa cohérence et sa "sombre clarté", résonne à la lisière du langage et de la conscience, provoquant parfois un sentiment de l'ordre de l'illumination artistique, de l'épiphanie. Vous pouvez penser que j'exagère. Et certains n'y trouverons qu'un comics mal fagoté où l'action est échevelée et les thématiques pour le moins étranges.
Mais dans le bénéfice du doute, ne vous privez pas de ce qui pourrait être le comics qui changera au sens le plus littéral du terme votre regard, votre vie-même...


Gilles Deleuze disait que les limites externes du langage étaient ces oeuvres qui poussent la langue dans ses retranchements et touchent à la musique, aux couleurs, aux visions, ces oeuvres qui offrent un passage vers l'extérieur du Langage, ce qui habite à la lisière du regard, aux frontières de la conscience, qui touche à l'essence, au Mythe.
C'est ici ce que nous offre Alan Moore, une aventure dans les marges de la réalité et de la conscience. Il nous laisse entrevoir ce qu'il y a au delà du voile d'Isis, et nous laisse là, dans un monde peuplé de Déesses sans âge, Dieux anciens, d'émotions brutes, vierges, pures.
La réalité est polluée par le langage, enfermée en son sein, mais Alan Moore nous offre la Clé des Songes, nous trace une ligne de fuite, et nous dit que si la réalité est langage, alors en faisant danser le langage, c'est la réalité toute entière qui sort de ses gonds et se met à danser.

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le 3 févr. 2017

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toma Uberwenig

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