Nous sommes en 1961, quelque part dans la France rurale. Joseph Fournier revient dans son village après trois années passées dans les rangs de l’armée française en Algérie. A priori, on pourrait s’attendre à ce qu’il soit accueilli les bras ouverts par sa famille. Trois autres gars du village ont laissé leur peau dans la guerre qui fait rage de l’autre côté de la Méditerranée, tandis qu’on est sans nouvelles de Michel, le fils du cafetier. Mais quand Joseph débarque de l’autocar, seule sa mère l’accueille chaleureusement. Son père se cache derrière un arbre pour ne pas avoir à lui dire bonjour, tandis que son frère lui parle de manière cynique et désagréable. Pareil dans le village: quand Joseph pousse la porte du café, on le traite comme un paria. Il n’y a que le cafetier René et sa fille Mathilde qui lui parlent plus ou moins normalement. D’ailleurs, Joseph en pince toujours pour Mathilde. Mais hélas, la jeune femme n’a reçu aucune des lettres envoyées par Joseph depuis l’Algérie. Et comme elle n’avait pas de nouvelles de lui, elle ne l’a pas attendu. Elle s’est fiancée avec Georges, le fils du boucher. Décidément, ce retour en France est plutôt du genre désagréable pour Joseph… Mais que lui reproche-t-on exactement? Pour tous les villageois ou presque, la cause est entendue: Joseph n’est pas un héros de la guerre d’Algérie, mais un planqué, qui officiait dans un bureau plutôt que sur les zones de combat. On l’accuse également d’avoir abandonné sa famille en se portant volontaire pour aller en Algérie. Pendant ce temps-là, son père a trimé comme un dingue pour faire tourner la ferme, tandis que son frère, qui était un coureur cycliste très prometteur, a été victime d’un accident de tracteur et est aujourd’hui cloué sur une chaise roulante…
On le sait: il existe énormément de livres et de films sur la guerre du Vietnam. Pour les Américains, ces oeuvres ont été une manière de tourner la page et de panser leurs plaies. C’est beaucoup moins le cas pour la guerre d’Algérie, qui demeure un sujet étonnamment peu abordé par les écrivains et les cinéastes français. Un peu comme si les Français ne voulaient plus entendre parler de ce qui s’est passé en Algérie, même si ces événements ont constitué un traumatisme pour les milliers d’hommes et de femmes qui les ont vécus. C’est ce qui rend la BD "Puisqu’il faut des hommes" particulièrement intéressante. Le scénariste Philippe Pelaez, dont le propre père a fait la guerre d’Algérie, s’appuie sur ce conflit tabou pour aborder la question difficile de la réinsertion des soldats qui reviennent du front. "De manière générale, le retour du soldat, peu importe la guerre, est toujours compliqué, et les séquelles psychologiques sont nombreuses: le sentiment d’abandon, d’inutilité, et surtout de culpabilité. C’est un récit que l’on peut ancrer dans tous les conflits", explique le scénariste. Après avoir prouvé qu’il pouvait faire rire ses lecteurs dans "Un peu de tarte aux épinards", Philippe Pelaez démontre qu’il peut aussi jouer la carte de l’émotion. "Puisqu’il faut des hommes" est un magnifique récit sur le sacrifice. C’est une histoire pleine d’humanité, qui démontre pourquoi les scénarios de Pelaez s’arrachent actuellement chez les éditeurs. Le jeune dessinateur madrilène Victor L. Pinel a manifestement été inspiré par les mots de Pelaez. Ses dessins sont dynamiques et fluides, tandis que ses couleurs délavées contribuent grandement à recréer l’ambiance de la France du début des années 60. Un livre fort sur un sujet qui l’est tout autant!
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