Héraclite est son dieu, les Fragments sa Bible
Ah, depuis le temps que je souhaitais mettre la main sur cette bande dessinée. Etant grand suiveur de l’actualité politique, et ayant beaucoup d’appétence pour les affaires internationales, je ne pouvais pas passer plus longtemps à côté d’une œuvre comme celle-ci.
L’auteur, livre une vision (romancée, évidemment) de l’intérieur du cabinet de Dominique de Villepin, alors ministre des affaires étrangères, sous Jacques Chirac, entre 2002 et 2004, étant lui-même à l’époque un des conseillers de ce dernier, plus précisément chargé des discours du ministre.
Quai d’Orsay, c’est surtout la mise en scène d’un personnage, DDV, ou Domi pour les intimes, qui écrase la BD de sa prestance. Personnage romanesque, fantasque, idéaliste, fougueux, direct, emporté, dynamique, impulsif, imbue de lui-même, chevaleresque, bavard, aimant être au sens de l’attention, s’écouter parler et étaler sa culture. Certes, pas besoin de cette bande dessinée pour cerner les traits du personnage, mais quand cela est bien fait, comme ici, ne boudons pas notre plaisir.
Car oui, Dominique est un personnage haut en couleur, burlesque sans le vouloir, de par ses petites manies, que cela soit son habitude de stabiloter sa bible (et après on se moque de moi quand je fais la même chose avec le monde diplomatique !), de balancer ses citations d’Héraclite à tire-larigot, de partir sans crier gare dans de grandes envolées « lyriques », d'avoir un comportement étrange et imprévisible ou encore d’apparaître subitement en coup de vent, tel Taz le diable de Tasmanie des Looney Tunes !
Mais Domi, c’est aussi un personnage charismatique, qui imprègne de son aura ses proches. Ainsi on voit le jeune conseiller qui semble à certains moments adopter les vues et le comportement du ministre, comme le montre cette séquence où il est au lit avec sa femme et son personnage se « villepinisant » physiquement pour montrer cette influence.
Dallas, ton univers impitoyable
Ah un cabinet politique, quel monde charmant, où l’auteur débarque sans trop savoir ce que l’on va faire, où l’on est jeté de la pataugeoire au grand bain sans forcément passer par le niveau intermédiaire, et où l’on doit se débrouiller seul, comme on peut, sans trop de conseils. Difficile de se débrouiller dans la mouise. Un cabinet, c’est aussi un lieu de lutte d’influence, où s'affrontent de forts égos, où se débattent tels des animaux en cages des conseillers voulant tirer la couverture à eux, en taclant au passage si possible ses camarades, avec « amour ». être conseiller aux discours, c’est aussi, devoir prendre en compte les remarques parfois les plus ineptes de son patron ou ne pas pouvoir faire fi des poils à gratter amis du ministre qui veulent laisser leur patte sur chaque discours, quand ce n’est pas le ministre lui-même qui change subitement d’avis ! Pas facile la vie de conseiller. Point positif en tout cas de cette bande dessinée, d’avoir montré toutes les péripéties survenant dans le processus d’écriture d’un discours. Pour autant, il est aussi bien montré les liens très forts qui unissent ces différents personnages, sans cesse en contact, comme une forme de microcosme, au détriment, régulièrement, des liens familiaux, le travail passant avant tout.
Quai d’Orsay montre aussi que le ministre est en fin de compte, plus un porte-parole plutôt qu’un véritable preneur de décisions, on le voit bien, c’est bien le chef de cabinet, ici très bien dessiné avec sa mine déconfite comme harassé par un boulot éreintant mais demeure zen comme une grenouille, qui « tire les ficelles » et est chargé de régler les problèmes qui peuvent survenir d’une minute à l’autre et devant être réglés dans l’urgence.
Bien que romancé, Quai d’Orsay veut tout de même livrer un panorama sérieux de ce que l’auteur a pu vivre et assister, ce qui donne une sorte d’aspect documentaire à cette bande dessinée. Pour autant, documentaire et humour ne sont pas antinomiques, et cette œuvre le montre d’une façon éclatante. Car oui, Quai d’Orsay est une BD qui fait rire ou sourire, voire même qui provoquer quelques esclaffements. Pour autant, que ceux qui abhorrent l’humour gras se rassurent, point de telles turpitudes ici-bas, l’humour est ici « fin », retenu, ciselé pourrait même on dire en s’emportant quelque peu …
L’écriture est donc de qualité, les répliques font régulièrement mouches, mais la forme est aussi appréciable. Alors oui, le dessin peut au début un peu déstabiliser, mais tout compte fait il se trouve plutôt adapté à l’écriture. En effet, on ressent très bien l’activisme, l’énergie, le dynamisme constant du ministre. Mais même au niveau des traits des personnages le dessin vise juste, et notamment Villepin, représenté comme une sorte de croisement entre un aigle et un grand vautour avec ses prédominantes épaules et son visage aiguisé.
Une Bande Dessinée politique de qualité, ce qui ne doit pas courir les rues, alors quand on tombe sur une telle œuvre, certes qui ne bouleversera rien, on savoure. Une sympathique lecture estivale, un ouvrage fin et léger comme une salade d’été.
PS : Par contre, à ne pas lire pour apprendre des choses géopolitiquement parlant …