Publié dans Trois Couleurs, février 2012
N'y a-t-il que la moquerie, le jugement implacable et cruel du caricaturiste qui se place au dessus de l'homme qu'il est en train de croquer et d'humilier, qui vaille en matière d'humour politique ? A cette question, la bande dessinée ne répondait à ce jour que par « oui ». Or avec Quai d'Orsay, Christophe Blain et Lanzac offrent –enfin- un démenti cinglant. Non seulement les deux auteurs font table rase des vieux codes historiques de l'humour politique, mais de surcroît ils les rejettent au profit d'une écriture comique de bande dessinée jeunesse classique. Comment ne pas retrouver, derrière les emportements à la Falstaff de ce ministre des affaires étrangères, ceux, tout aussi drôles et émouvants, du Capitaine Haddock ou de Joe Dalton ?
Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si Quai d'Orsay préfère le baroud à caractère humain, même cocasse même hilarant. Le principal protagoniste, Arthur Vlaminck, diplomate fraichement sorti de l'école et dévoué à l'écriture des discours du ministre des affaires étrangères, est un double du scénariste, caché sous pseudonyme, dont on dit qu'il aurait travaillé avec Dominique de Villepin avant de s'envoler pour d'autres missions diplomatiques. Lanzac excelle dès qu'il s'agit de souligner, à l'intérieur de ces situations plus grandes que nature auxquelles la politique est souvent réduite, les détails révélateurs des comportement humains pour mieux en rire : Tension sexuelle qui s'exprime par la vacherie, versatilité intellectuelle qui confine à la folie chez des diplomates soumis à des dizaines de prérogatives et d'influences contradictoires, archaïsme culturel d'élites coupées depuis trop longtemps de la société civile, aliénation d'un quotidien qui défile à cent à l'heure....
Blain, quant à lui, convoque les codes de la bande dessinée franco-belge de son enfance pour mieux incarner cette troupe de tempéraments incroyables. Nez, gestuelle, et même mise en scène participe à faire des diplomates comme du ministre de l'intérieur des héros classiques de la bande dessinée d'aventure. Il faut dire que l'atmosphère des ministères, ces fourmilières qui bouillonnent de mouvements humains, se prête parfaitement à la philosophie esthétique de l'auteur, en perpétuelle quête de « l'énergie » du personnage, cette ligne qui permet de synthétiser son identité en une gestuelle emblématique.
En ramenant naturellement le fait politique dans le sillon de la bande dessinée classique, Blain et Lanzac dénonce sans faire exprès un académisme qui n'avait pas été questionné depuis des décennies. Ces postmodernes malgré eux rappellent que la politique est une entreprise à hauteur d'homme. Mieux, une fantasque et palpitante aventure de bande dessinée.