Chris Ware et moi, c'est l'histoire d'une rencontre aussi passionnée que brève. Le premier album que j'ai pu lire de lui, son Jimmy Corrigan, je l'ai trouvé génial, je l'ai considéré comme une bible je l'ai relu plusieurs fois, je m'en suis inspiré pour des travaux graphiques lorsque j'étais étudiant. Et puis j'ai lu une autre BD. Tout en reconnaissant le talent graphique, je fus déçu : c'était la même chose que Jimmy. Je ne saurais pas dire si Jimmy est simplement un excellent album ou bien si c'est le fait que ce soit le premier que j'ai lu, en tous cas, tout ce que j'ai pu lire de Ware par la suite m'a déçu. Même Building Stories dont le concept m'avait très beaucoup alléché ! Au final, je n'aurai retrouvé une pointe d'émotion qu'en feuilletant ses Sketchbooks publiés. Parce qu'enfin le bougre a réussi à me surprendre, à faire autre chose que la même soupe qu'il ressert habituellement. Et c'est un peu grâce à ce carnet que j'ai tenté Quimby. Je savais que le bougre se lâchait un peu plus ou du moins je le croyais, peut-être à tort. Et donc, croyant cela, je me suis dis que ça allait être bien que Chris avait enfin décidé de faire quelque chose de plus jeté. Parce que vraiment, je trouve son style dans ses carnets de croquis bien plus intéressants que son imitation de dessin vectoriel. Bon faut aussi savoir que je pensais qu'il s'agissait d'un album tout récent et non pas d'une traduction d'un truc sorti il y a plus de dix ans. J'imagine que sortir un tel album permet de faire patienter les fans en attendant le nouveau délire autiste de l'auteur. Soit...
Il est vrai qu'à part les articles et la couverture de l'album, les premières pages sont plus jetées que ce que Chris fait habituellement. On sent un peu plus le trait tremblotant, sa souris est un peu plus vivante. Mais très vite, l'auteur corrige ces erreurs naturelles pour les remplacer par son trait froid qui l'a rendu célèbre. J'apprécie ce dessin. Mais à nouveau l'auteur s'enferme dans son maniérisme étouffant, dans des mises en page certes très bien foutues (quoique sur une ou deux pages, on perd un peu en fluidité de lecture avec tous ces sens de lecture) mais répétitives. Il y a aussi un jeu de format pas pratique du tout : lorsqu'il faut exercer une rotation de 90° sur l'album, au vu de la taille et du poids, ce n'est franchement pas pratique ; autant ça marchait sur Jimmy Corrigan autant ici ça ne va pas du tout.
Les textes ajoutés pour faire comme s'il s'agissait d'un journal ne sont pas tous super intéressants. L'auteur écrit bien, c'est vrai, mais les récits sont peu palpitants. Certains textes sont très difficilement lisible, j'ai cru m'esquinter définitivement les yeux sur certains passages tant la police de caractère est minuscule. Tout le décorum est plaisant ; parfois je me dis que Chris Ware devrait se reconvertir dans le papier peint, il dessinerait des km de motifs à la main, sans machine de reproduction, et je suis sûr qu'il prendrait son pied à ajouter des petits détails de fou.
Les récits de Quimby ne sont pas déplaisants, on trouve même de très chouettes idées, des idées un peu glauques. Le côté autobiographique ne marche pas tout le temps, en plus l'auteur ne prend pas toujours le recul nécessaire et on flirte presque avec le misérabilisme ; cette part personnelle est donc trop envahissante par moment. Sur la fin, on sent que l'auteur arrive à court d'idées, c'est un peu répétitif. Du coup il expérimente davantage.
Bref, c'était pas top. Ça se lit, Chris Ware reste un auteur très talentueux à mes yeux, mais c'est déjà un p'tit vieux sénile qui ne fait plus que raconter la même chose. Vivement son prochain carnet de croquis...