Stéphane Levallois rackette les mots pour mieux parler du silence du coma
Futuropolis continue à sonder l’intériorité qu’un coma peut provoquer, en ce début d’année. Et cette fois, après Matthieu Blanchin et son Quand vous pensiez que j’étais mort, c’est Stéphane Levallois qui s’y colle. Avec une oeuvre hors norme, Racket, où les mots sont kidnappés et ôtés aux images pour favoriser l’incursion dans ce No Man’s Land entre la vie et la mort et nous plonger dans la turpitude du coma d’une petite fille.
Racket, c’est l’histoire d’une petite fille dans le Paris d’aujourd’hui et ce qu’il peut avoir d’effrayant. C’est l’expérience que va vivre cette petite fille. En rentrant de l’école, un jour, un colosse encapuchonné lui barre la route et lui réclame son téléphone portable. Sans délai. La petite fille peinant à se débarrasser de son bien le plus précieux, le racketteur enfonce la pointe de son poignard dans l’abdomen de la môme. Commence un périple entre la conscience (les derniers efforts pour rentrer chez elle tout en ne paraissant rien) et l’inconscience, dans les tourments d’un coma inattendu et saisissant. Un monde intérieur peuplé de bons monstres mais aussi de méchants démons. Et une lutte palpitante pour retrouver la lumière et les proches.
Dessiner, c’est écrire
« Non mais on n’est plus des gosses! On sait lire. Pas besoin de bouquin sans texte. » J’imagine très bien la réaction de certains en voyant débarquer cet OVNI de Stéphane Levallois: 312 pages en bichromie s’agençant comme une succession d’images tout en lignes expressives. Sans phylactère et sans cartouche mais avec un bagout incroyable. Car après tout: dessiner, n’est-ce pas écrire?
C’est même plus fort tant Stéphane Levallois a saisi toute l’expression à laquelle peut donner force le dessin (et ce dès la première page avec ce corbeau qui ouvre un œil). Après Matthieu Blanchin et ses mots éparses et touffus, Stéphane Levallois donne à voir une autre expérience du coma, en sondant l’indicible et avec une parfaite analogie entre la réalité et ce coma qui mélange tout. Et l’importance de ce lien entre ce monde du dehors, et ce papa urgentiste qui vit les pires heures de sa vie, et ce monde du dedans dans lequel la petite fille tente de se dépêtrer. L’importance de se ressaissir aussi, tant pour le papa noyé de chagrin que pour la petite qui affronte seule ses peurs de la ville étrange, immense et menaçante et de la mort.
« Mais alors, ça se lit vite, non, si ce ne sont que des successions d’images? » Pas vraiment, on pourrait même rester des heures devant chaque dessin, vif, tantôt fantasmagorique, tantôt réaliste. Avec une telle puissance émotionnelle, une telle intensité et une perfection graphique rappelant l’agencement des story-boards (Levallois a d’ailleurs œuvré et dessiné pour le cinéma d’animation mais aussi en prises de vues réelles, comme pour les derniers Harry Potter ou Pirates des Caraïbes 4) mais surtout dans la lignée de ce que Stéphane Levallois a produit dans ses précédents ouvrages (le magnifique La résistance du sanglier pour n’en citer qu’un!). Il y a une telle vivacité qui émerge de ces lignes (de fuite?), un tel imaginaire. C’est du Com’art, du grand art, subtil et sublime à la fois, se libérant du poids des mots pour dire des choses encore plus puissantes!
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