Le rival absolu de Dragon Ball et des mangas d'Osamu Tezuka

Ce manga est tout simplement exceptionnel. L'edition originale compte 38 tomes et l'edition en cours en grand format va les ramener a 20 volumes, 12 volumes sont deja parus a l'heure ou je redige cette critique.
Personnellement, je suis fan absolu des mangas de Rumiko Takahashi, ainsi que de leurs adaptations en series animees. J'ai ete avant tout marque par Ranma 1/2 ici commente et par Maison Ikkoku connu aussi en France sous le titre Juliette, je t'aime. J'ai alors explore tout ce que l'auteure avait produit. Je suis encore fortement impressionne par Urusei Yatsura, Mermaid Forest et Inu Yasha, et meme si je trouve des defauts a Rinne je repere des choses tres fortes. Mon espoir, ce serait que toute l'oeuvre de Rumiko Takahashi soit traduite en francais, j'ai achete les mangas en anglais quand ils n'etaient pas traduits en francais et je guette de temps en temps pour voir si on n'aura pas prochainement des traductions de recueils de nouvelles encore inedits ici.
Mais il y a un paradoxe du phenomene rumiko Takahashi. Ces mangas ne figurent pas dans le top ten des plus vendus, mais plusieurs figurent dans le top 50, et en meme temps elle a ete consacree par un prix a Angouleme. Ceci dit, l'impression que j'ai, c'est que le public ne la suit plus depuis quelque temps deja. J'ai l'impression que les gens de 40 ou 30 ans ont fixe des codes d'excellence du cote d'un certain profil de series, tandis que les plus jeunes ne sont plus interesses par Ranma 1/2 ou meme Inu Yasha.
En fait, Rumiko Takahashi, Osamu Tezuka et Akira Toriyama sont trois mangakas d'une autre epoque qui parlent tres peu aux nouvelles generations, au moins de 30 ans, mais qui parlent deja tres peu a beaucoup de fans de mangas du style Gunnm, Akira, Blame, etc.
Si Akira Toriyama est encore repute aujourd'hui, c'est en grande partie du a un malentendu avec son public. Les pressions de la Shueisha et de la Toei ont fait que Toriyama a accepte de faire de Dragon Ball un concurrent a part entiere, puis le remplacant de Saint Seiya, alias Les Chevaliers du Zodiaque. Les ventes de Dr Slump pour le peu qu'elles aient de consistance en France ne sont boostees que par le succes de Dragon Ball et tout le debut de Dragon Ball, un tiers sinon un quart des volumes ne retient guere le public puisque la plupart des gens ne s'interessent qu'au tournant de l'apparition des saiyens, Freezer, Cell et consorts.
Dans les mangas d'Osamu Tezuka, de Rumiko Takahashi ou d'Akira Toriyama, il y a un gout pour l'humour leger, la caricature, la parodie, etc., pour les exagerations comiques et les invraisemblances que permet la bande dessinee. Tout ceci ne plait guere a une ecrsante majorite du public.
Pourtant, ces trois auteurs sont meilleurs que bien d'autres qui sont actuellement plebiscites a outrance. Dans le cas de Ranma 1/2, on a la creation d'un gag manga avec une intrigue principale qui relie les 38 volumes, mais qui se retire au profit d'intrigues comiques successives.
Le probleme qui en resulte, c'est que pour ceux qui veulent suivre une histoire de longue haleine, le renoncement est inevitable, puisqu'ils doivent finir par se rendre compte que l'histoire cesse d'evoluer reellement. La seule evolution intervient assez tard, le heros retrouve sa mere, quand au mariage de Ranma avec Akane il reste simplement en suspens tout le long des 38 volumes, il est situe hors-manga, meme si des le debut on comprend que ces deux fiances qui se disputent sont attaches l'un a l'autre. Et, bien sur, s'il est plusieurs fois question de rompre le sortilege, rien n'avance non plus de ce cote-la. Ranma est eternellement voue a changer de fille en garcon et de garcon en fille, comme son pere reste touche par la malediction du panda, Shampoo par celle du chat, Ryiga par celle du cochon, etc., etc. Ce probleme de surplace est accentue par l'adaptation en serie animee. La serie animee compte un nombre eleve d'episodes avec un pourcentage eleve d'episodes fillers, en n'adaptant que les 22 premiers tomes du manga et en s'arretant simplement sur le retour de la mere de Ranma. Une serie d'OAV permet d'avoir un rendu jusqu'au trente-sixieme tome, mais les tomes 37 et 38 n'ont jamais ete adaptes et si ils l'etaient on aurait toujours une fin ouverte.
Cependant, c'est l'univers qu'il convient d'apprecier et les innnombrables recits comiques crees a partir du canevas de depart. Certains vont se lasser en cours de route. En gros, ils auront eu leur dose de ce type d'humour et voudront passer a autre chose. Il s'agit simplement de lassitude, car le manga est tres bon de part en part. Neanmoins, le debut du manga a quelque chose en effet d'exceptionnel. Rumiko Takahashi sort dd'une experience de longue haleine avec Urusei Yatsura et des elements de cette premiere serie a succes sont repris dans Ranma 1/2 ou a la source d'idees developpees dans Ranma 1/2.
Prenons le debut du manga. Quelle introduction fascinante. Sous la pluie, dans les rues de Tokyo, une jeune fille rousse au caractere trempe se dispute avec un panda. Elle cherche a le semer, elle lui parle et lui dit des choses invraisemblables si ce panda ne doit etre qu'un panda. Elle se bat avec lui, mais avec le decalage etrange de deux personnes qui se connaissent, qui sont assez familieres entre elles. Le panda est dans la sournoiserie, il fait semblant de tomber dans les pommes, attaque par derriere, il utilise un panneau de signalisation en traitre. Tout cela est suivi par les passants qui commentent sans trop s'impliquer non plus. Ce debut est deja fascinant, et cela continue avec l'arrivee au dojo de l'ami de Genma. Parmi les trois soeurs, on a d'emblee un touchant portrait de la plus jeune. Puis cette scene ou la famille du dojo se retrouve nez a nez avec le panda et la fille rousse. On va basculer ensuite dans quelques scenes de fan service, mais elles sont prises dans une creation originale d'exception, tout fonctionne, jusqu'a l'insolence finale de Ranma fier de son corps de fille face a Akane.
Mais, ce recit d'introduction une fois boucle, on repart dans un recit fascinant digne de la folie d'Urusei Yatsura. Akane et Ranma vont a l'ecole et on a une scene d'affrontement impressionnante entre les garcons et Akane ou se melangent parodiquement le sujet des arts martiaux avec l'idealisation amoureuse d'une jeune fille qui doit resister a sa foule de pretendants. Et cela continue sans arret, on a ensuite cette scene encore une fois enormenent scotchante ou le beau gosse du lycee, maitre du kendo, declare sa flamme a Ranma transforme en fille en lui lancant un bouquet de roses. Les declarations poetiques de ce nouvel intervenant aupres d'Akane et de Ranma sont accompagnees d'une emphase lyrique qui accompagnent tres bien l'exageration comique des scenes de combats ou de quiproquos, on sent que l'histoire a une relle profondeur. Les scenes fascinantes vont s'accumuler par la suite, avec la soeur de Tendo, le drame a la chevelure d'Akane, l'apparition de Shampoo, etc. Au bout d'un certain temps, meme si le personnel va continuer a s'etoffer, la serie a trouve son rythme et donc nous suivons une intrigue comique, puis quand elle est finie nous passons a une autre. Mais tout le debut du manga est d'une intensite poetique exceptionnelle. La mise en place est vertigineuse d'inventivite exquise.
La force de Rumiko Takahashi reside aussi dans la justesse emotive des reactions des personnages. Il n'y pas d'abord un scenario auquel les personnages doivent se plier. Les caracteres des personnages sont primordiaux. Si les personnages sont plonges dans telles conditions, eh bien ce sera l'occasion de voir comment les caracteres des personnages reagissent ou s'y retrouvent. Le scenario est cree autour du besoin de creer des interactions dynamiques a partir du comportement previsible des personnages. Et le charme qui opere, c'est aussi de voir ces petits moments fugaces ou un personnage rougit, avoue ce qu'il est, de voir ces moments ou un personnage veut dissimuler, ces moments ou un personnage est sournois, pas seulement le pere de Ranma. Ces interactions sont peut-etre d'un autre temps pour le public plus jeune ou le fait de dire de maniere cash ce qu'on pense est devenu la norme, mais il n'en reste pas moins que la peinture efficace des sentiments dans Ranma 1/2 est d'une reussite intemporelle. Et puis, il y a cette poesie du monde cree, ce qui est invente sous nos yeux est rarement banal. A part la blague du medecin qui joue avec son squelette et fait peur a Ranma en fille, on a sans arret des scenes tout a fait inventives et une bonne gestion de la surprise. Meme dans des trucs qui ont l'air tout simples, par exemple, les patients fuient le medecin quand il recoit la soeur ainee d'Akane. Il y a une atmosphere etrange qui s'installe et deborde le simple ressort parodique. L'art de la narration est reel, on ne bascule pas dans la secheresse. L'auteure n'hesite pas a exagerer, par exemple avec la presence massive d'eclaboussures par seaux d'eau, ou autre exemple en laissant en veilleuse le public des autres eleves qui a la difference de Tendo et de sa soeur finissent par ne plus etre dupes des transformations de Ranma, mais sur la ligne du recit principal la poesie prime sans arret et on reste sous le charme.
Mon souhait, c'est qu'evidemment tout Rumiko Takahashi soit traduit en francais. Elle a plusieurs mangas d'exception, et ni Ranma 1/2, ni Inu Yasha ne devraient moins beneficier de succes que Full Metal Achemist, Demon Slayer, Bleach, Dragon Ball, Gunnm, sous pretexte que les passions du coeur y ont une note plus fleur bleue et gentillement adolescente, sous pretexte que pour Ranma 1/2 le cote gag manga predomine.
Par exemple, certains diront que, Osamu Tezuka, Leiji Matsumoto et le Go Nagai de Devilman mis a part, Naoki Urasawa est une reference dans le manga avec Monster, 20th century boys et Pluto est un dieu du manga, ainsi que l'auteur de Gunnm. Ben, pour ma part, je considere que Rumiko Takahashi est nettement meilleure qu'Urasawa, dont les fins creuses de mangas devraient alerter sur la surestimation de la cote qui lui est conferee, et est sans doute meilleure meme que l'auteur de Gunnm. Son imagination est beaucoup plus profonde sous l'apparence de recits pour de jeunes ados assez sages.