Le manga Rash, l'impétueuse en anglais, ne tient qu'en deux tomes. Ce serait l'unique série de Tsukasa Hojo qui n'aurait pas convaincu le public.
Le manque de succès a dû se jouer au niveau des prépublications en revue, plutôt qu'en termes de ventes du tome 1, puisque la couverture de Tome 1 respire un dessinateur au sommet de son art avec un portrait explosif de micro-sensualité sur tous les détails du visage. Le contenu du tome 1 tient parfaitement la route également.
Qu'est-ce qu'il s'est passé ?
Tsukasa Hojo venait de terminer sa série à succès City Hunter et le public a pu sanctionner la nouvelle série pour son manque de renouvellement. Rash est effectivement un manga City Hunter à partir d'une héroïne qui va concentrer en elle des traits de Ryo et d'autres de Kaori. C'est une femme, pas encore médecin, elle n'a pas fini ses études, qui va jouer le rôle d'infirmière dans une prison où elle prend le relais de sa grand-mère, mais c'est une femme immensément jolie et en même temps qui aime exciter les hommes avec une absence de pudeur à la Ryo Saeba. Elle a aussi un dynamisme et une force physique exceptionnels, et une idée de l'auteur c'était d'en faire une femme médecin mélangée à des histoires de crimes. Elle soigne les gens selon sa profession, mais elle peut le faire tout en traquant des prisonniers qui s'écharpent et font des victimes. La superposition d'une femme qui soigne et poursuit les criminels en même temps est la note burlesque de ce manga mise en avant dans les premiers chapitres du récit. Notre héroïne a donc la capacité de Ryo Saeba de résoudre une affaire en un instant de manière improbable, tout en partageant avec lui une certaine maladresse et une certaine désinvolture qui provoquent des catastrophes. Cependant, elle récupère aussi des traits de Kaori, dans la mesure où le dynamisme était aussi une caractéristique de la partenaire du "city hunter". Elle a des emportements comparables et se rue tête baissée dans l'action, se mettant en danger imprudemment. De Kaori, elle n'hérite pas aussi lourdement des blagues dépréciatives vachardes de Ryo Saeba. Kaori était très belle, mais le running gag était de la faire passer pour manquant de séduction féminine. Ici, l'héroïne crée de l'effet partout où elle passe, mais elle a quand même le côté "garçon manqué" qui lui est reproché et elle se fait traiter de vieille à quelques reprises par de jeunes filles, lycéenne ou très jeunes étudiantes en boîte de nuit. Je dis "très jeunes", parce que, dans la mesure où "Rash" n'a pas encore fini ses études de médecine, elle n'a sans doute pas 25 ans. Je me demande si son âge n'est pas précisé au début du manga.
Bref, elle rassemble sur elle tout plein d'éléments pour nous rappeler les deux héros phares de la série antérieure d'Hojo, mais c'était sans compter sur le public qui quand on lui dit nouveauté veut un vrai renouvellement. Il faut ajouter que l'héroïne a aussi un collègue masculin qui est inspecteur, qui vit dans la même maison qu'elle, ils se connaissent d'ailleurs depuis l'enfance, et les gags de cette paire rappellent encore une fois l'équilibre comique du couple de chasseurs de prime. Quant à la galerie de portraits féminins ravageurs, là encore, "Rash" tire tout à soi. Il suffit de se reporter au visage et à la coiffure de l'héroïne sur la couverture du tome 1, ce dont j'ai déjà parlé, pour voir qu'il y a du niveau. La double page de titre du chapitre 1 offre également un prodigieux dessin de femme en grand. Je ne vais pas commenter tous les dessins, l'héroïne est coquine, on la voit en action en Kaori de choc. Mais on atteint de nouveaux sommets avec les dessins du chapitre 5 au talent même pas forcé, quand "Rash" déchire un peu sa jupe pour être plus à l'aise pour se battre. On a droit à une représentation sur la page jaillie en-dehors des cases, puis trois pages, justifié par le fait que l'inspecteur regarde par le judas, on a une image de folie entre carrure athlétique des épaules et du bras et négligé sensuel extrême du décolleté sur une poitrine énorme, le bas de la jupe déchirée, le nœud hallucinant, le tout pris dans un cercle blanc qui fait médaillon.
Toutefois, Rash, bien que résolument parti sur un mode comique, fait moins rire que City Hunter. On ressent comme un manque de relief. L'héroïne en a un, mais les histoires, tout en étant comiques, sont trop lisses. Les gags sont pris dans l'action, il y a un effet de fondu. L'auteur raconte une action et applique ses recettes, il n'y a pas assez de moments où on prend du recul pour mieux incarner les personnages. Ce n'est pas mauvais, mais ça se lit un peu mécaniquement. Puis, l'héroïne met la barre très haut dans sa capacité à tout résoudre. Ryo Saeba avait parfois peur, il y avait une idée du risque, il était imbattable au tir, mais il se faisait emprisonner ou n'était pas le plus fort aux coups de poing. Ici, on ne ressent rien de tout ça. L'héroïne file comme une flèche avec rien qui peut s'y opposer, et ça rend le lecteur assez indifférent aux moments d'action.
La série aurait pu toutefois corriger le tir. Mais le second tome fut le dernier. Il commence par des recettes éprouvées de City Hunter, mais il se poursuit en introduisant une idée scénaristique importante à l'ensemble de la série. L'héroïne semble avoir vocation à se marier avec l'inspecteur, mais à la fac de médecine elle a eu son premier véritable pour un professeur. Le problème, c'est que ce professeur mélange la médecine et la justice en se disant que, pour empêcher les gens de se droguer, il faut tuer les têtes du réseau de trafiquants, et comme il est passé à l'action, il s'est retrouvé en prison. L'héroïne est amoureuse d'une personne aussi antipathique, voilà qui est un peu dur à avaler. Or, le récit ne travaille pas du tout à rendre crédible cette idée, à l'incarner. Le récit s'appuie dessus bien sûr, mais mécaniquement. On n'a rien à se mettre sous la dent pour se dire que vraiment elle en pince pour lui, etc. Le truc est raconté froidement, et il faut dire que ce n'est pas évident de suggérer la sincérité des sentiments de l'héroïne pour un tel profil. Pourtant, le concept a une force classique, celle du dilemme. C'est Rash qui avait fait arrêter son professeur et elle veut le convaincre d'une méthode de protection pour les gens sans tuer qui que ce soit. Le professeur incarcéré accepte le défi, c'est-à-dire qu'elle prenne la liste des chefs du réseau et se débrouille pour les neutraliser à sa façon, lui ne pouvant rien faire étant derrière les barreaux. Mais, comme ceci est raconté dans le deuxième tome, il faut voir qu'il reste déjà peu de pages pour raconter cet arc du manga. Cinq personnes vont être recherchées. Mais, oubliez les deux du centre, on va avoir une histoire sur les deux premiers ensemble, puis une histoire sur le dernier. Je ne vais pas raconter les rebondissements, mais donc on a un manga qui se termine sur une résolution des intrigues en cours, y compris au plan du cœur. Mais, on pourrait bien évidemment écrire une suite. On sent que le manga devait durer plus longtemps et qu'il y avait moyen de développer les personnages, d'exploiter le potentiel de l'héroïne pour d'autres aventures.
Le manga s'arrête là, et au plan de la relation de l'héroïne avec l'inspecteur, on sent que la situation n'était pas verrouillée comme celle de Ryo et Kaori et que l'auteur aurait eu bien du mal à maintenir comme intéressant un triangle amoureux où l'inspecteur serait sur la touche et le professeur assassin un antagoniste toujours un peu désiré par l'héroïne malgré ses actes et propos. On sentait quand même poindre l'impasse.