Nous allons rêver ensemble. Rêver d'un monde où Hiro Mashima n'a jamais tenu un crayon de sa vie, d'un monde meilleur, d'un monde où le bon goût se veut moins entaché qu'il ne l'est actuellement. Inspirez. Expirez. Gardez en tête qu'une production Hiro Mashima, ça ne se lit pas sans échauffement préalable. Il y a un travail de préparation psychologique. Entendez-moi bien moi, qui ai déjà éprouvé les déjections du lascar ; à moins d'un demi siècle de méditation transcendantale précédant la besogne, on ne se lance pas dans pareille lecture sans risquer quelques séquelles en bout de course.
Du Hiro Mashima, ça se lit avec le glaive et le chapelet à la main. On ne va pas lire à proprement parler, on ne va pas se distraire, non, on va batailler contre tout ce qu'il y a de mauvais en ce monde, cette fois, compilé en trente-cinq volumes.
C'est pas l'esprit tranquille que je me suis infligé une lecture de cette engeance, mais je l'ai fait pour les générations à venir. Même un misanthrope acariâtre et bilieux de ma trempe, présenté à une telle horreur, ne peut que ressentir le besoin instinctif de se sacrifier au nom du bien commun. Il y a des choses en ce bas-monde qui sont simplement intolérables, et ces choses-là, Hiro Mashima les sécrète au naturel avant de les accoucher sur papier. En terme d'édition, on n'a rien fait de pire depuis le Necronomicon ou Marc Levy.
Dante est revenu des enfers là où je suis revenu d'une première lecture de Hiro Mashima, mais Dante, lui, n'a jamais eu le mauvais sens de récidiver son périple. Eh bien, j'ai osé en ce qui me concerne. Puisse la postérité se souvenir à jamais de mon abnégation et de mon sacrifice.
Bien évidemment, il se trouvera toujours quelques naïfs, quelques inconscients même, pour seulement oser prétendre que j'exagère. Il y a, parmi ces gens-là, des ignorants d'une part, mais des démons de l'autre. Vous pensez que j'ai perdu la raison à entrer comme je le fais dans des délires mystiques, à diaboliser d'emblée tous ceux qui ont un jour apprécié un manga de Hiro Mashima ? Alors, en ce cas, vous êtes vous-même d'essence démoniaque. Qui a aimé le diable devient l'un de ses suppôts et c'est le glaive brandi que je saurai le recevoir.
J'ai vu des choses. Des choses que personne ne devrait voir et qui, pourtant, sont répandues à raison de dizaines de millions d'exemplaires à travers le monde. Vous croyez tout connaître du pire ? Naïfs que vous êtes. Le pire, je vais vous en faire ici la chronique. C'est rien moins qu'une pilule rouge que je vous présente et que je vous insère en suppositoire.
Alors que vous pensiez lire une innocente critique, vous réaliserez, au terme de cette dernière, qu'il y aura eu pour vous un avant et un après. C'est un instant charnier de votre vie que vous lisez présentement avec cette indolence qui vous caractérise, ne le laissez pas vous échapper. Il est crucial que vous vous en souveniez afin de pouvoir, à l'avenir, lutter contre les forces du mal qui vous apparaîtront, dès lors, omniprésentes.
Vous n'êtes pas religieux ? Vous le deviendrez au terme de cette critique. Car une fois que vous ne douterez plus de l'existence du diable que je m'apprête à vous présenter, alors, vous aurez la certitude que Dieu existe. Mashima, c'est ma croisade, mon sacerdoce et vous en serez les témoins stupéfaits et ébahis.
Rave ? Non, ça n'envoie pas du rêve. La première page s'ouvre, le cauchemar commence et, très vite, trop vite, vous réalisez avec stupeur que vous ne lisez pas quelque chose de nouveau. Quelque chose de familier vous glace alors l'échine car, bien malheureux, vous réalisez que vous ne faites que lire un pré-Fairy Tail avec toute l'horreur et l'atrocité que puisse comprendre la présente assertion.
Ça commence et, déjà, on patauge. On patauge dans le placenta ayant recouvert la matrice d'une fosse sceptique innommable. Le premier chapitre achevé, je savais que je venais de pénétrer l'antre de la bête immonde, la vraie. Dites-vous que c'est de là qu'est sorti Fairy Tail. C'est vous dire si ça fout les jetons.
Parce que Rave - et je sais que vous ne me croirez pas - c'est le premier jet de Fairy Tail, sa version la moins aboutie si vous préférez. J'en entends déjà qui hurlent de terreur et je les comprends. «Non», me disent-ils, «Tu mens ! Ça n'est pas possible de faire moins abouti que Fairy Tail, c'est du délire !». Moi-même je n'y ai pas cru avant de le constater. Mais plus tôt on se rend à l'évidence et mieux on aborde ce qui suit. Ne soyez pas dans le déni, c'est comme ça que le diable exerce son emprise sur vous. Car de dénis en dénis, vous seriez même capable, dans votre delirium ininterrompu, d'en venir à nier la médiocrité de ce que vous lisez. C'est comme ça qu'on rejoint les rangs du malin. Gardez-vous en. Le périple est ardu, et nous n'en sommes pas même à la première escale.
Ici se déballent les chroniques d'un suicide langoureux qui se subit en trente-cinq tomes. Le suicide de notre espérance en l'humanité d'abord, en voyant de quoi cette dernière est capable avec un simple crayon, mais le suicide de tout ce qu'il y a de beau en ce monde. L'humanité s'achève dans ces pages, l'Enfer se dévoile et il nous faut y cheminer afin que d'autres n'aient pas à s'y risquer.
Lire Rave, c'est un suicide qui n'en finit pas, comme chercher à se trancher les veines avec du fil à couper le beurre ; c'est plus long que ça n'est tragique et on meurt pourtant d'envie d'abréger nos souffrances au plus tôt. Mais on ne peut pas.
Jamais je n'aurais cru l'Enfer si brouillon. Je me le figurais évidemment comme horrifique, avec ses torrents de laves, ses mers de sang et son ciel rouge, mais j'étais loin de m'imaginer m'être trompé à ce point. L'Enfer, c'est une page blanche avec, dessus, quelques gribouillis maladroits.
On en prend très vite la mesure ; dans ce manga, l'amateurisme se conjugue au manque d'inspiration coutumier - et même assumé - de Hiro Mashima. L'originalité est bannie de ces terres car elle n'est pas de ce monde-là, mais de celui de la médiocrité absolue. Quand on voit ici ce que fait jaillir l'encre, on en regrette les flammes et la pestilence.
De cette matrice poisseuse sera excrétée une fausse-couche dont les jalons graphiques auront été abondamment inspirés, pour ne pas employer le verbe plagier, du crayonné d'Eiichiro Oda. La tentative se veut aussi loupée que désespérée bien que patente, puisque le rendu aboutira - malgré lui - à la patte graphique d'un Yoshio Sawai qui, s'il mérite mon estime pour son excellent Bobobo-bo-bo-bobo, ne lira jamais de moi une ligne agréable sur ses dessins crispés et rigides.
Une fausse-couche, donc ; une fausse couche dont les charognards les plus infects qui soient - à savoir ses lecteurs - auront léché les chairs mortes trente-cinq volumes durant. Comptabiliser le temps perdu par une telle masse humaine de lecteurs nous amène naturellement à nous apitoyer sur leur sort. Ils auraient pu faire tant de choses plus constructives avec tout ce temps foutu en l'air. Comme avaler du cyanure de potassium par exemple.
C'est bien simple, depuis ma lecture de Fairy Tail, je catégorisais déjà l'espèce homo-sapiens en deux catégories, les êtres humains et les lecteurs assidus de Hiro Mashima. Il en est des disgrâces parmi le genre humain, mais celles-ci auraient amené Ghandi à reconsidérer la non-violence les concernant. Démoniaques, ils ne le sont devenus qu'après avoir abandonné ce qui faisait d'eux des humains : leur esprit critique. Alors, les châtier de mon auguste glaive critique n'est plus un crime, mais une délivrance commandée par le beau, le bien et le vrai. Et aussi une pointe d'agacement, je ne vous le cache pas.
J'entends bien que les plus altruistes chercheront à Mashima des circonstances atténuantes. N'appelons-nous pas d'ailleurs ces gens-là les «avocats du diable» ? Mais, quitte à faire preuve d'empathie, autant le faire jusqu'au bout. L'empathie suppose de savoir se mettre à la place de l'autre sans le caricaturer. Aussi, je ferme les yeux, je me mets à la place de Hiro Mashima, je pleure de honte dans un premier temps, je vomis de dégoût ensuite et enfin, je me saisis d'un pinceau. Là, je dois visualiser le néant, il doit prendre forme sous mes coups de crayon. Mais comment faire ? Je m'en rends compte maintenant mais, c'est une tâche éprouvante que de rédiger une histoire d'où serait purgée la moindre once d'authenticité ou d'originalité. Ne serait-ce que durant un instant d'inattention, guidé par la fatalité, n'importe qui, malgré lui, pourrait laisser surgir un sursaut qualitatif impromptu. Mais pas Hiro Mashima. Lui, contrôle chacun de ses faits et gestes et ne laisse jamais le bon goût s'installer. Jamais. C'est un talent en soi, je l'admets volontiers. Le seul que pourrait décemment lui accorder un éventuel avocat du diable.
Vraiment, m'aurait-on un jour mis au défi de rédiger une œuvre d'où serait absente la moindre forme de particularité ou d'intérêt que je serais alors logiquement devenu l'auteur de Rave. Mes personnages ne se seraient peut-être pas appelés pareils, la quête ne se serait pas accomplie selon les mêmes motifs, mais, si ce n'est ces variables, rien n'aurait changé. Rave est, comme le sera Fairy Tail dans des propensions plus ahurissantes encore, le modèle-nu du Shônen. Celui sur lequel doit, en principe, se greffer les innovations propres à son auteur afin de donner naissance à une œuvre unique.
Hiro Mashima aura alors constaté ce modèle vide et, croisant les bras devant ce chef d'œuvre se serait exprimé «Ah bah c'est bon, rien à ajouter».
Quelque part, Rave, comme Fairy Tail ou tout ce qu'aura pu laisser traîner Hiro Mashima est une excentricité conceptuelle. C'est ce que disent en tout cas les tenants de l'arts contemporains pour masquer le vide artistique. Seulement, là où eux cherchent à s'excuser piteusement de n'avoir aucun talent, Hiro Mashima l'assume, s'en contente et pire encore, s'en vante. Là où je n'ai vu que la honte et l'incurie, lui en a tiré de la fierté. Cela en dit long sur l'auteur et justifie amplement le pourquoi de mon besoin physique et même compulsif de le noyer dans l'eau bénite. Il faut au moins ça pour nettoyer la crasse entre ses deux oreilles.
Donc, c'est l'histoire - quel grand mot - d'une pierre sacrée appelée Rave - car le scénario s'appréciera sous l'égide du calcaire - et d'un héros qui est plus ou moins un élu puisqu'il en est l'héritier. Donc, à partir de là, l'intrigue s'écrit toute seule. Y'a même plus besoin de la lire. Ce qui tombe drôlement bien car, voudrais-je me faire encore l'avocat du diable et chercher - même en faisant preuve de la plus infinie mauvaise foi - à vous encourager à lire Rave que je ne trouverais pas même un seul argument pour vous en persuader. Si ce n'est une fange très marginale du spectre des masochistes-ultra, je ne vois très sérieusement pas qui peut être le public cible de Mashima. Le fait est que ce lectorat existe et que je ne trouverai aucun répit tant qu'il lui restera un souffle dans sa carcasse putride.
Toute la recette Fairy Tail trouve ici ses bases pourries et rongées par la médiocrité ; la mascotte, le héros invulnérable dont on ne doute jamais de la victoire, des gonzesses - pardon, des personnages féminins - allant en deça des limites du dispensable, des personnages tirés d'archétypes grossiers, des bastons sans répits dépourvues de la moindre intrigue pour seulement les lier entre elles, une mise en scène que seul un manchot aveugle de naissance aurait jamais pu mettre en place.... tout y passe. Je n'en attendais absolument rien, même moins que rien, et je suis quand même déçu. C'est aussi ça la force de Hiro Mashima ; creuser sans cesse plus profond jusqu'à nous faire douter que son puits de médiocrité puisse seulement avoir un fond.
L'infiniment petit trouve sa démonstration scientifique sous sa plume.
La médiocrité n'a d'ailleurs ici pas plus de fond que n'en a le manga qui en est constitué. Quand un auteur qui n'a rien à dire cherche néanmoins à le crier sur tous les toits, la courtoisie la plus élémentaire lui commande en principe d'y mettre des formes convenables. N'espérez pourtant rien du dessin, ne vous attendez pas même au pire car vous seriez encore loin de pouvoir seulement envisager l'envergure de la purge dans laquelle vous plongeriez en entamant pareille lecture.
Toi qui entre ici, abandonne tout espoir. Et referme ce tome, tu te rendras service.
Certains, je le sais, réprouveront le bienfondé de l'emploi du champ lexical infernal associé à cette critique. Alors, en toute honnêteté, je demanderai à ceux-là : est-ce que pour vous, être contraint de lire des créations de Mashima pour l'éternité aurait des airs de Paradis ? Répondre à cette question sans mentir, c'est me donner raison sur toute la ligne et vous le savez.
Le diable existe. On dit même que sa plus grande tromperie et d'avoir fait croire qu'il n'existait pas. Mais qu'on ne s'y trompe pas, il existe et règne sur ce monde ; il a simplement opté pour un nom de plume pour mieux se dissimuler.