Orgueilleux que je suis, je vais finir par me sacrer expert. Expert ce qu'il faut pour créer quelques distinctions de mangas infinitésimales. Je commençais à avoir des doutes et ces derniers se sont subitement confirmés à la lecture de Akame ga Kill !. Il existe - et j'en suis sûr - une catégorie informelle de mangas aux caractéristiques communes que je classerais dans un même corpus. Un corpus que que range prudemment dans un coffre fermé à double-tour et dont je jette la clé au fin fond de l'Etna par précaution.
Il est des mangas format pop-corn qui ont le dont de distraire sans jamais se transcender mais il existe quelques formats subalternes. Maintenant devenu expert autoproclamé et reconnu à l'international pour peu que le monde se borne à chez moi, je baptise cette catégorie nouvelle le «format maïs», celui d'où le pop-corn n'a pas même réussi à émerger.


Le format maïs, c'est quoi au juste ? D'abord des dessins ou, en tout cas, des semblants de traits plus ou moins articulés sur une feuille de papier desquels on peut deviner des formes auxquelles on attribue une fonction symbolique. J'ai honnêtement connu des peintures rupestres plus élaborées et qui elles, avaient une âme et un style propre. Ce dessin, je me suis déjà esquinté les yeux dessus à deux reprises ; d'abord en lisant Sword Art Online, puis en poussant le vice jusqu'à Mirai Nikki. Avec Akame ga Kill ! en sus, nous avons alors la trinité damnée du manga format maïs. Que quelque chose d'aussi pauvre sur le plan artistique puisse être porté à un tirage que je suppose de milliers d'exemplaires me sidérera toujours.
Il n'y a pas là une once - même infime - de sophistication dans le dessin. Le crayonné est plus lisse et convenu encore que ne l'est le reste du manga - et c'est dire. Rien de nouveau mais rien même d'égal à ce qui se fait ; l'impersonnel personnifié. Je devine la - modeste - place du manga dans le top 100 manga à sa version animée qui, de ce que j'ai vu par extraits, est considérablement plus soignée que le support sur lequel elle repose.


De l'impersonnel, nous passerons à l'indéfini à la manière où Dante descendait d'un cercle de l'Enfer à un autre. Car bon sang que les contours de l'univers dépeint ici sont vaporeux pour ne pas dire inexistants. Tetsuya Tashiro et Takahiro ont sorti une feuille blanche pour y dessiner un monde nouveau mais sont manifestement tombé à court d'encre avant même d'esquisser la première ligne. Je ne comprends pas qu'on puisse se lancer dans une œuvre sans même la penser. L'inqualifiable Hiro Mashima, dont «l'œuvre» était pourtant pétrie de faux et de plagiats en tous genres s'était au moins donné la peine de représenter un monde sommaire mais cohérent en guise de cadre de vie pour ses personnages. Avec Akame ga Kill !, tout est laissé au petit bonheur la chance. Que ses auteurs s'en contentent est déjà lamentable, mais que les lecteurs s'en satisfassent... pardonnez-moi mais... restons poli. Restons... polis....


Conjuguant volontiers le rien avec le néant, les personnages seront aussi élaborés que le cadre parmi lequel ils seront amenés à évoluer. Archétypiques au possible, ils sont exagérément expansifs en toute circonstance et désespérément vides. Leur vie - et quelle vie - ne sera qu'une fade succession de combats sans intensité ni efforts de mise en scène s'inscrivants entre les lignes ténus d'une histoire que l'on pourrait condenser en deux lignes seulement. Akame ga Kill ! est la copie médiocre d'un élève fainéant qui n'aura même pas fait mine de se fouler. En classe, un élève aussi négligent aurait été sanctionné ; dans le monde de l'édition manga, on lui assure un tirage conséquent et une adaptation animée.
Des scripts comme ceux qui ont abouti à Akame ga Kill !, ça se secrète plus facilement depuis l'intestin grêle que la cervelle.


À quoi bon un pareil manga ? Un Seinen qui plus est, car chacun pourra constater que la maturité manifeste du corpus justifie allègrement que cette composition s'extirpe du rang des Shônens n'est-ce pas. Une trame reposant sur des assassinats sans enjeux au milieu de nulle part, l'univers et ses personnages n'étant pas développé d'un iota. Un conte pour enfant en dix pages a plus de contenu à offrir que ce condensé d'impérities réduisant le manga à ce qu'il a de pire à offrir. Ce sont des ambassadeurs comme Akame ga Kill! entre autres qui font passer les mangas pour un genre de bandes-dessinées mineur ; C'est à cause d'auteurs - un bien grand mot en ce qui les concerne - comme Tetsuya Tashiro et Takahiro que je ne peux que balbutier et baisser les yeux quand il s'agit de défendre la réputation du genre artistique qu'ils prétendent représenter tout en prenant un malin plaisir à le saloper page après page.


Deux auteurs. Parce qu'ils auront dû se mettre à deux pour nous gratifier de quinze tomes d'Akame ga Kill !. Pensez donc, un ouvrage si titanesque, ça ne peut être que le fruit de deux cerveaux qui, convergeant, n'ont alors pu qu'aboutir à cette supernova artistique et aveuglante. Pas tant aveuglante qu'elle scintille, plutôt parce qu'elle intime ses lecteurs à détourner le regard tant ce que l'œuvre a à offrir est gênant.


Étais-je censé pleurer pour les morts ? L'interrogation est honnête et franche. Quand une coquille vide se brise, j'en oublie jusqu'à son existence la seconde qui suit le nettoyage. J'ai le sentiment que les auteurs n'étaient pas même lucide quant à l'ineptie flagrante derrière la construction de leurs personnages - sans parler du reste. Comment s'imaginer sereinement pouvoir créer ou même susciter une émotion chez le lecteur à l'intention de personnages qui n'ont justement rien à faire valoir ?


Propre à toute démesure de fin de Shônen - qu'on ne me dise pas que c'est un Seinen que j'ai lu - nous finissons avec la classique profusion de destructions brouillonnes avec, cerise sur le tas de merde, un antagoniste géant pour tout péter. Oui, un géant, car pour le duo terrible en charge du «scénario», même la prévisible et plus élémentaire démesure ne saurait s'exprimer sous des traits au moins allusifs.


Un Empereur vilain, un Premier Ministre cruel, les méchants très méchants sont de sortie et on les agite ce qu'il faut pour que tout châtiment leur incombant ne puisse qu'être considéré que comme bien fait pour eux. Ce serait d'ailleurs la seule chose de bien faite à laquelle aura pu aboutir Akame ga Kill !.
Le sordide dénouement du Premier Ministre est enfin l'occasion de s'appesantir sur la judicieuse distinction à opérer entre un sens du gore pertinent et gore débilitant. Un gore bien mené est expressif mais jamais gratuit, il survient au détour d'un aléas scénaristique ; il ne cherche pas à choquer ou à provoquer quoi que ce soit chez le lecteur en se forçant à lui, c'est une démarche artistique, l'expression logique d'un style qui aura assumé sa cohérence d'un bout à l'autre. S'oppose à cette forme de violence graphique à l'intelligence insoupçonnée la brutalité pour gogols comme celle à laquelle nous aurons eu droit ici en fin de parcours. On cherche à verser dans l'excès, c'est forcé, on met le sang et les tripes pour la finalité d'en mettre, la démarche est simplement m'as-tu-vu et éminemment immature. La torture du Premier Ministre s'inscrit évidemment dans cette droite lignée. L'œuvre en aurait été lourdement décrédibilisée si de crédibilité elle en avait eu pour commencer.


Expert autoproclamé et reconnu par ses pairs à commencer par moi-même, je me permets alors de fustiger souverainement le statut de manga accolé abusivement à l'étiquette Akame ga Kill !. De même qu'un jus de raison qu'on aurait négligemment laissé fermenter faute de soin ne devient pas du vin, les errements frénétiques de deux idiots ayant malencontreusement fait couler de l'encre sur du papier - fut-ce à quelque milliers de reprises - n'aboutira pas nécessairement à un manga.


Quant à la trame, elle se conclut finalement avant même d'avoir commencé ; une fausse couche pré-coïtale s'étale sous nos yeux alors que l'Empereur mort - sans jamais avoir pris la peine de véritablement exister en premier lieu - tout se termine aussitôt. Les protagonistes décarrent dans l'instant avec chacun trois ultimes cases d'exposition pour les remercier d'être passés. La fête est finie, tout le monde rentre à la maison.
Bien entendu, que serait une mauvaise histoire sans une fin à sa mesure ? Le bon peuple retrouve instantanément la postérité et la joie à la seconde même où s'écroule l'Empire car, comme chacun le sait, un Empire qui s'effondre n'engendre que le bonheur de ses anciens administrés. Rome ? Connais pas. Tetsuya Tashiro et Takahiro non plus je pense. Mais ne leur en demandons pas trop. Ni trop, ni beaucoup, ni peu ni rien ni quoi que ce soit.
Sachant tout de même faire le distingo entre naïf et stupide, je me dois d'admettre que ce que j'ai lu ici ne relevait vraisemblablement pas de la candeur. Je laisse aux esprits chagrins le choix de la déduction.


L'affaire pliée - la chute d'un Empire, la bagatelle - Akame s'en va voguer littéralement en direction du soleil couchant. Je lui souhaite bon vent ; un vent qui j'espère l'emportera dans un typhon duquel elle ne reparaîtra jamais. Ce ne serait que la juste rétribution pour un personnage principal vide de sens et de substance qui porte sur lui toutes les tares de l'œuvre dont elle est l'égérie.


C'était me salir l'âme que de lire ceci et m'avilir plus encore que de lui accorder une seconde attention en produisant cette critique. Critique de salut public cependant, je vous prie de le croire. Si je m'abaisse à faire le travail ingrat de démineur au point d'entamer si méchamment mes nerfs, c'est encore pour que personne n'ait la mauvaise surprise en marchant sur ces mines publiées sous le label «manga».

Josselin-B
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le 5 juil. 2020

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Josselin Bigaut

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