J’ai découvert Benoit Sokal à travers les enquêtes et les aventures de Canardo. Cela fait des décennies que je suis fan de ce palmipède en redingote et de l’univers animalier anthropomorphe dans lequel il gravite. Il y a quelques années, j’ai pris énormément de plaisir à lire la trilogie Kraa du même auteur. Cette intrigue « chamanique » s’est révélée passionnante et originale du début à la fin. J’ai donc accueilli avec enthousiasme et curiosité la parution récente d’un nouvel album auquel Benoît Sokal apporte son écot. En collaboration avec François Shuiten, il a fait naître Roodhaven premier acte du diptyque Aquarica.
Roodhaven est une bourgade qui ne doit pas être perturbée par un afflux trop important de touriste en période estivales. Nous y découvrons dans les années trente une communauté des plus austères hantée par le souvenir d’un accident maritime majeur. Ses membres sont d’anciens baleiniers dont le navire a été détruit il y a quelques années par un cétacé géant. Les victimes ont été nombreuses et depuis les survivants sont animés par une haine vivace. Le quotidien morose du village est chahuté le jour où échoue sur la plage un monstre marin dont la carcasse voit apparaître des restes du bateau historique des baleiniers. S’opposent alors les autorités qui voient ici un support d’étude scientifique et les autochtones qui y voient un début de piste pour se venger de la baleine qui a causé leur perte…
La première chose que je retiens de ma lecture est l’atmosphère qui se dégage des planches. L’aspect rude de la nature et des habitants de Roodhaven ne laisse pas indifférent. L’intégration ne semble pas simple pour John Greyford, membre de l’institut des sciences de la mer qui débarque pour étudier la « bête ». Le lecteur n’a aucun mal à suivre les pas de ce personnage tant le sentiment de rejet des habitants locaux transpire de chaque planche. Le travail sur les couleurs est indispensable au tableau sensoriel qui habite la lecture. Les tons gris et marrons enrobent parfaitement ce petit monde au milieu de nulle part. Les auteurs offrent une galerie de personnages intéressante. Les anciens baleiniers ont une personnalité graphique forte. Elle contraste fortement avec le côté « jeune premier » de Greyford. Le personnage du lieutenant O’Bryan est importante. Ancien baleinier, il est le représentant de l’autorité. Sa volonté de chercher à ménager la chèvre et le chou permet à l’intrigue de ne pas tomber dans une confrontation excessive et caricaturale entre les deux camps. Elle permet d’apporter de la nuance et de faire cohabiter deux points de vue antagonistes.
Dans sa seconde partie, la narration prend un ton fantastique qui peut être perturbant. L’atmosphère mystérieuse de ce monstre mi-organique mi-mécanique est dissipée très rapidement. Sans vouloir vous en dévoiler davantage, sachez que les révélations changent, à mes yeux, radicalement le ton et l’ambiance de l’histoire. Je n’irai pas jusqu’à dire que j’ai regretté cette modification mais plutôt qu’il m’a fallu un petit peu de temps pour m’y adapter. Mais une fois cette transition digérée, la seconde partie se lit avec plaisir et sans difficulté. Notre curiosité continue à être sollicitée et le dénouement ouvre la porte vers un mystère qui fait attendre la parution de la suite avec un certain intérêt.
Pour conclure, Aquarica est une série intéressante. J’ai passé un moment très agréable à lire ce premier tome. Sans être subjugué par l’intrigue ou envoûte par l’atmosphère, je me suis captivé pour l’aura mystérieuse qui entoure ce monstre marin et ce qui l’entoure. Je fais confiance aux deux auteurs pour offrir un second opus du même calibre pour faire cette aventure un diptyque de grande qualité.
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