Suite à un accident, un avion s’écrase sur une île déserte. Les seuls survivants sont un groupe d’enfants, exclusivement des garçons. Livrés à eux-mêmes, ils vont organiser leur vie sur l’île en attendant d’être secourus. Une lutte de pouvoir va se mettre en place et deux clans vont alors se former. D’un côté les plus « civilisés » et de l’autre les plus violents.
Cet album a d’abord attiré mon attention par sa très belle couverture et par le fait qu’il s’agissait de l’adaptation d’une œuvre majeure de la littérature. Ces deux éléments ont contribué à me convaincre d’acheter cette BD et de la lire rapidement. Ce n’est pas la première fois qu’une couverture d’Aimée de Jongh m’attire. Cela avait été le cas avec « Jour de sable », que je trouve très belle également, même si je ne l’ai pas encore lu, peut-être à cause du pitch qui m’intéressait un peu moins. Néanmoins, je viens tout juste de l’emprunter à la médiathèque pour y remédier et me forger ma propre opinion.
C’est la toute première fois que Sa Majesté des mouches, ce roman au succès mondial est adapté en bande dessinée. Celui-ci bénéficie d’ailleurs d’une parution simultanée dans une quinzaine de pays, faisant ainsi de lui le roman graphique officiel de l’œuvre. S’il vivait encore, je pense que William Golding aurait apprécié le travail d’Aimée de Jongh. Personnellement, je n’ai malheureusement pas encore eu l’occasion de lire le roman éponyme, mais l’autrice nous révèle en fin d’ouvrage que « chaque phrase est tirée de l’œuvre originale ».
La tension monte crescendo durant les 12 chapitres qui composent ce roman graphique. Livrés à eux-mêmes, dans une nature sauvage et paradisiaque, les enfants sont obligés de vivre sans la présence d’adultes pour leur fixer des règles, des interdictions et les guider dans leur construction de soi. Malgré leur éducation, les instincts grégaires et violents prennent vite le dessus. La civilisation est remplacée par un retour à un état proche de l'animal, une organisation presque tribale se révèle être prédominante chez ces adultes en devenir. Ce en quoi, on peut dire que le roman de William Golding traite de sujets sociaux, moraux et étudie les ressorts psychologiques complexes de l’être humain.
Même si je lui reconnais un certain charisme, le personnage de Ralph qui sera dans un premier temps élu chef des enfants rassemblés sur l’île, ne m’est pas apparu vraiment sympathique au premier abord. Notamment à cause de l’une des premières scènes de la BD où l’on voit Ralph et un autre enfant qui deviendra son ami fidèle. Pour initier la discussion, le garçon lui demande son nom, Ralph lui répond, mais ne s’intéresse pas en retour à connaître le sien. Après quelques cases sans parole, son camarade d’infortune lui révèle quand même son nom ou plutôt son surnom (« cochonnet ») lui demandant que personne ne l’appelle ainsi. Néanmoins, à peine ces mots prononcés, Ralph se moque de lui en l’appelant par ce sobriquet. Il continuera à le surnommer « cochonnet » dans l’intimité, mais aussi devant les autres qui vont bien sûr l’imiter. On peut dire que cela donne le ton sur la direction que va prendre l’histoire.
Mais cette anecdote n’est pas la seule qui fasse que l’on est en droit de se poser la question : L’homme serait-il naturellement mauvais ? En effet, bien qu’il ait été élu à la majorité par les enfants, Ralph fait face à un antagoniste, Jack un autre grand qui voulait, lui aussi, être chef et qui ronge son frein en attendant son heure. Notre héros essaye d’organiser la communauté, avec l’aide de « Cochonnet » en édictant des règles qui vont rapidement être transgressées par Jack et sa bande qui ont décidé de faire scission avec le groupe. Alors que Ralph se veut raisonnable et civilisé, Jack qui a redécouvert son instinct de chasseur fait régner la violence et la terreur sur l’île. A tel point que les enfants « sages » qui s’étaient rangés du côté de Ralph, lui tournent le dos pour rejoindre les rangs des chasseurs pour se protéger. C’est l’effet de meute qui prime. Les enfants qui devraient être purs et innocents par essence, sont pervertis. Par contre, dès qu’ils voient l’adulte qui vient les sauver, ils redeviennent des enfants qui regrettent ce qu’ils ont fait. Les dernières images sont aussi révélatrices de la violence du monde qui les entoure, le bateau qui vient au secours des enfants est un bateau de guerre.
Côté traitement graphique de l’œuvre, c’est aussi une réussite notamment par un coup de crayon qui s’adapte au sujet en étant assez détaillé pour les paysages, mais plus rond et presque enfantin pour les personnages. Cela permet de contraster entre ce qui devrait être l’innocence des protagonistes et l’évolution de la nature humaine qui prend le dessus. Le découpage est dynamique et oscille entre grands décors et cases plus réduites pour raconter une histoire qui commence bien mais vire au cauchemar. On découvre également des couleurs sombres, par moment pour montrer la noirceur et la cruauté, mais aussi plus lumineuses à d’autres, à l’image de la végétation luxuriante, ce qui nous donne de très belles pleines pages.
C’est un album dont je recommande la lecture que ce soit pour les personnes ne connaissant pas l’œuvre de William Golding mais aussi pour celles ayant lu le roman précédemment. Un conseil, ne vous arrêtez pas à la taille de la BD, qui fait quand même plus de 340 pages, cela se lit assez facilement tant l’histoire est prenante et les dessins plutôt accrocheurs.
Version illustrée de cette critique : https://www.artefact-blog-bd.com/recit-complet/sa-majeste-des-mouches/