Sang d'Arménie
Sang d'Arménie

BD franco-belge de Guy Vidal et Florenci Clavé (1985)

Parue en 1979 sous le titre de L'Ile aux chiens, il semble que ce fut la première bande dessinée européenne abordant la question du génocide des Arméniens. L'album a été colorisé et s'ouvre par une sublime couverture, bien plus belle que celle de 1979 quoique beaucoup moins conforme au style graphique de l'album. L’évolution du titre de l’album est significatif, centré désormais sur les malheurs du peuple arménien (nous verrons plus loin qu’il n’est pas question du génocide mais des pogroms anti-arméniens de la fin du XIXème siècle).


Guy Vidal s'est beaucoup intéressé dans son œuvre à différents moments forts de notre histoire : Seconde guerre mondiale, Guerre d'Algérie, terrorisme d'extrême gauche, mais sa narration ne m'a pas toujours convaincu, sauf dans Tout le monde aime le printemps. Ici, son désir d’aborder la question algérienne est lié à l’amitié nouée à Marseille à partir des années 50 avec un réfugié arménien, un certain Dicran. Vidal l’explique dans la postface de l’album dans laquelle il présente le contexte général du sort des Arméniens depuis la fin du XIXème. Il le fait en indiquant clairement qu’il n’est pas historien et que sa seule ambition est d’inciter le lecteur à se renseigner davantage sur la question.


Car l’histoire narrée ici, non datée précisément, mélange en effet pas mal de choses, des événements ou situations de différentes époques. Nous sommes sous le règne du sultan Abdul Hamid (1876-1909), c’est clairement indiqué dans le récit, plutôt dans les années 1890, mais l’histoire de l’île aux chiens présente dans l’album fait plutôt référence à un épisode de 1910, à Constantinople, lorsque de nombreux chiens errants ont été capturés puis emmenés sur une île proche où on les a laissés mourir et s'entre-dévorer (événements relatés dans un court métrage récent de Serge Avédikian, Chienne d'histoire). On voit aussi des déportations de populations arméniennes qui, à ma connaissance, n’ont pas existé lors des pogroms de 1894-1896, mais durant le génocide. Le récit de femmes fouillant le crottin des chevaux pour y trouver des graines fait aussi référence à l’époque du génocide, donc en 1915-1916.


L’album prend parti pour les Arméniens, et les Turcs sont décrits sans nuance. Les Européens en prennent aussi pour leur grade, les diplomates, en apparence soucieux du sort des chrétiens en Turquie, étant présentés comme surtout intéressés par la défense de leurs intérêts en Turquie.


Bref, cet album a été marquant dans l’émergence de la question arménienne dans le monde de la bande dessinée. C’est un album qui témoigne, qui se veut passeur de mémoire, qui brise un tabou, mais qui n’a aucunement ambition sur le plan historique, comme Vidal l’affirme dans la postface, et il ne l’est en effet en rien. Un album important, par conséquent, par le mérite qu’il a eu d’aborder une question jusque là méconnue, mais qui comprend toutefois le défaut majeur de ne pas être du tout rigoureux sur le plan historique : un album pas déplaisant, mais qui risque d’apporter une vision confuse de ce qui s’est réellement produit, du fait de son choix assumé de la fiction, et d’une fiction globalisante, peu respectueuse de la chronologie des faits.


Pour aborder la question du génocide des Arméniens par la BD, je vous conseille plutôt Medz Yeghern de Paolo Cossi.

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le 6 avr. 2020

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socrate

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