S’enfuir, récit d’un otage
7.4
S’enfuir, récit d’un otage

BD franco-belge de Guy Delisle (2016)

Une autre BD que je me suis offert pour fêter mon contrat d'école. Je suis pas un grand fan de l'auteur mais j'apprécie tout de même ce qu'il fait et puis surtout, ce projet-ci m'a paru particulièrement intéressant la première fois que j'en ai entendu parler.


Le récit est assez particulier. L'auteur nous invite à découvrir le petit rien d'un captif privé de toute communication. Il ne se passe pas grand chose, c'est certain, et on est très loin des récits sensationnels sur le sujet. En fait, l'auteur parvient à nous faire nous rendre compte combien la moindre petite chose prend toute son importance dans de telles circonstances. Dans une pièce vide, le moindre élément devient primordial à l'équilibre du prisonnier. D'ailleurs les journées se dérouleront autrement lorsqu'on le fera changer de lieu. Autre bonne idée, le rattachement à la mémoire : cette idée de citer pour chaque lettre d'alphabet un événement ou un personnage lié à une guerre, c'est fort, ça permet de digresser tout en gardant à l’œil la psychologie du personnage. Malheureusement, les scènes de combat imaginées sont peu claires, Delisle échoue à expliquer correctement ce qu'il se passe.


Le travail sur le rien est impressionnant : les cadrages sont construits de telle sorte que le vide prend toute la place et circule en maître dans les vignette. C'est graphiquement minimaliste, ce qui colle parfaitement au sujet. Les attitudes du personnage sont bien rendues et réalistes. L'auteur n'essaie pas d'en foutre plein la vue, ce qui est très bien : c'est par cette modestie graphique qu'il rend son dessin si intéressant. En effet, parfois, on ne peut s'empêcher de penser que l'auteur s'est contenté de faire poser quelqu'un tant l'attitude paraît juste (les petits détails nécessaire à cet égard). Les couleurs sont bien pensées aussi : c'est très simple, ça renforce le côté monotone du fait que ce sont les mêmes tout du long. mais avec peu de choses, Delisle parvient à créer des ambiances, je pense notamment à la lumière passant sous la porte.


Et puis il y a le personnage. Et là c'est assez curieux car il fait à la fois la force et la faiblesse du récit. L'auteur décide de le traiter avec beaucoup de distance et de froideur. Le personnage paraît amorphe, désensibilisé, sauf sur la fin (et encore). C'est bien parce qu'on évite le misérabilisme et autre sentimentalisme encombrant. Mais en même temps, voir ce 'robot' réagir si peu face à ce qui lui arrive, ça enlève un peu de tension. Ce qui est bien aussi car ça permet de se concentrer sur le cheminement psychologique, mais c'est un p'tit peu décevant aussi, car ça créée parfois de longues séquences durant lesquelles ils ne se passe rien. Non pas que je me sois ennuyé mais je me suis juste dit : ha dommage qu'il ne se passe pas quelque chose en plus, pas grand chose, juste un p'tit truc, ou bien que ça n'aille pas plus loin dans telle ou telle idée. Les idées d'évasion, par exemple, sont un motif qui revient régulièrement, qui rythme le récit : c'est malin en soi mais ça ne paraît pas assez poussé. J'attends un peu plus de pulsions dans un récit. Ou alors il faut que le côté amorphe soit poussé bien plus loin, comme c'était le cas dans "24 prostituées" de Chester Brown.


Bref, j'ai beaucoup apprécié cette BD, il y a des moments où je me disais que c'était carrément génial... et pourtant, au bout du compte, je reste un peu sur ma faim. Alors que j'ai ressenti une petite pointe d'émotion sur la faim lorsqu'il a retrouvé sa famille... je ne sais pas expliquer. Il me manque un petit quelque chose mais je ne sais pas quoi. mais c'est quand même un très très bon album.

Fatpooper
8
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le 3 oct. 2017

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Fatpooper

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