Satoshi Kon est mort.
La nouvelle ne l’est pas, le drame nous date de 2010. Vous avez fait votre deuil, vous pensez pouvoir le lire et voir ses films de nouveau, vous passez un bon temps et, l’expérience accomplie vous soupirez.
« Satoshi Kon est mort »
De ça, de ce que vous avez lu ou bien regardé, vous n’en trouverez plus. Peut-être que vous trouverez quelque chose de tout aussi plaisant à découvrir, mais ce sera autre. Le souffle de créativité qui lui jaillissait de la plume se sera tari tout en même temps que son ultime expiration. Mais Satoshi Kon, c’était un mangaka d’un temps donné, d’autres l’ont précédé et, d’autres lui ont succédé. Alors vous lisez ici et là ce qui passe, vous reposez, vous vous asseyez et, de nouveau, vous soupirez.
« Satoshi Kon est mort… et Hiro Mashima ne l’est pas »
Mashima, c’est un bon client, un épouvantail ; une emblème de l’époque toute entière, mais ç’aurait pu être son nom – celui de Tetsuya Tsutsui par exemple – ou encore dix mille autres que j’aurais pu citer pour vous situer l’absence de renouvellement artistique. Je n’aspire même pas à goûter quelque chose de bon, ni même quoi que ce soit qui me plaise ; donnez-moi au moins du nouveau. Faites-moi me dire : « Tiens, ça, je ne l’ai pas lu ailleurs, c’est une approche originale ».
Satoshi Kon, sans que j’en sois un thuriféraire, c’était une valeur sûre dans ce registre. Vous vouliez explorer, étendre vos horizons créatifs, vous vous risquiez alors à une de ses œuvres. Peut-être n’en étiez-vous pas satisfait à l’arrivée, ce fut souvent mon cas, mais jamais, alors que la dernière page se refermait, vous ne vous disiez avoir perdu votre temps. Qu’elle plaise ou pas, y’a des variables dans une œuvre qui font qu’elle est digne d’intérêt ; qu’elle a vu le jour pour une raison créative. Pas nécessairement une bonne, une raison néanmoins. Une qui n’ai rien à voir avec le besoin compulsif de pognon comme cela se voit partout aujourd’hui. Les plus jeunes – ô les pauvres – ne sont peut-être pas en mesure de le savoir, mais avant de n’avoir que pour seule finalité de brasser du pognon, le manga, c’était aussi un medium de passionnés. Des hommes et des femmes qui, lorsqu’on leur parlait du potentiel artistique d’un manga, ne ricanaient pas derrière des dents serrées tout en comptant les zéros sur leur compte en banque. Satoshi Kon en était. Il était une icône, et il ne l’était pas pour rien. Il faut avoir vu Memories pour s’en convaincre. Cela, et le reste aussi.
Et c’est du reste dont je viens vous entretenir ce jour.
Délibérément nébuleuse sera l’entame. Ce n’est pas pour me plaire, certains y seront sans doute plus réceptifs. Cette manière d’annoncer l’intrigue sans l’annoncer m’apparaît un brin prétentieuse ; conceptuel pour la finalité de l’être. L’exposition, en outre, y est exagérément preste et condensée, bien trop forcée dans ce qu’elle annonce en si peu de temps. Mais de temps, Satoshi Kon n’en a que peu alors qu’il condense un monde construit en un tome à peine, aussi la mansuétude se suggère au regard de ses impératifs. Le tout, s’il est complet et cohérent, demeure cependant maladroitement présenté tout en sachant néanmoins rester suffisamment évasif afin de créer ce qu’il faut de mystère pour titiller la curiosité du lecteur. Il n’empêche que ça a souvent comme des allures de narration Wikipédia.
Il y a du Miyazaki dans ce qui échappe à Satoshi Kon. Il était, quoi qu’on en dise, l’héritier putatif d’un maître de l’animation et du manga, sachant s’émanciper de son aîné pour suivre sa propre voie. Mais qui, alors qu’il aperçoit la protagoniste et, dès l’apparition des premiers cormorans géants, ne trouvera pas comme des restes de Nausicäa dans les pages ? Eh puis, on savait Satoshi Kon collaborateur de Katsuhiro Otomo, les deux ayant conjointement contribué à révolutionner le milieu du manga et de l’animation durant les années 1980. Du style industriel politico-post-apo d’Otomo, on en trouve des traces incrustées là aussi. Nul doute que l’œuvre présente a largement contribué à inspirer Eden, It’s an Endless World.
Mamoru Oshii, au scénario, apporte un regard politique lucide sur les événements. Seraphim est une dystopie qui, en dépit de ses accents surnaturels, répond tout à fait présent au réalisme du cataclysme. Le menace planante de l’OMS, lorsqu’on a éprouvé ses facéties sur deux ans de grippe, tend à démontrer à quel point l’auteur était visionnaire. Lui ne voyait pas d’un œil tendre les structures supranationales, le sous-texte de Seraphim en atteste presque à chaque page qui vient. Cela, sans nous saturer sous un pamphlet au rabais, nous écrase sous un contexte d’une infinie lourdeur qui s’écrit à raison de vingt paragraphes par page. Seraphim aurait tout gagné à être un roman illustré.
On ne reprochera en tout cas pas le moindre propos consensuel à l’auteur alors qu’on nous annonce que les crises migratoires ont annihilé des nations entières. Mais… ça n’existe que dans les mangas, je vous rassure.
Seraphim nous dit tout sauf l’essentiel, sans trop savoir où il veut en venir, s’efforçant de rester vaporeux sur ce que sont les Magi, ou ces histoires christiques de Vierge enceinte, entre autres Gaspard, Melchior et Balthazar ; du vernis religieux sans fond qui, dans la démarche, m’aura immanquablement fait penser à Evangelion, là où l’Évangile n’y avait sa place que pour ses vertus cosmétiques. C’est verbeux, ça nous sature d’information dont nous n’avons pas l’usage pour mimer de la profondeur. Ça mime foutrement bien, on y croirait ; mais ça se contente de mimer.
Eh puis, inclure un scénario de sauvetage de damoiselle en détresse avec le peu de temps qui nous est imparti pour l’enquête… c’est d’un goût douteux. Le récit est remarquablement bien foutu, on sent la patte d’un cinéaste et écrivain accompli, mais on la sent peut-être trop pressante pour être celle d’un mangaka à même d’exprimer la singularité que suppose le support. Le manga a ici été manifestement choisi en pis-aller ; on ne me fera pas croire que Satoshi Kon n’aurait pas préféré en faire un film animé. Un que j’aurais aisément trouvé pompeux pour ce qu’il avait de faussement complexe et étayé.
Les modalités du récit, son orchestration, cette manière d’exprimer le drame ou l’intensité, et même certaines thématiques abordées m’auront immanquablement rappelé – à rebours – les œuvres de Naoki Urasawa. Je le découvre à titre rétrospectif, mais Satoshi Kon, lui aussi, l’a marqué et imprégné jusque dans le crayonné à maints égards. On sous estimera toujours de trop l’empreinte de Satoshi Kon sur le paysage manga.
Seraphim est un manga bien écrit, mais trop écrit. Le récit ne prend pas le temps de se dérouler tout en trouvant le temps de trépigner. Et puis, ces histoires d’élu avec, en supplément, les accents divins… voilà qui prête for bien aux soupirs et autres roulements d’yeux. Je sais que je ne m’en suis pas privé.
Le récit est bien ficelé mais convenu, il nous amène tout ce qu’on suppose, mais en sachant se donner des airs pour faire envie. J’ai beau lui reconnaître tous les mérites du monde à Satoshi Kon, je reste franchement hermétique, voire même un tantinet hostile quand je m’essaye à ses mangas. Mais voudrait-il nous laisser indifférent devant ses compositions – quand bien même celle-ci est forgée à quatre mains – qu’on ne le pourrait pas.