Nous avions quitté Henri Castillac en bien mauvaise posture, forcé de tirer à bout portant avec ses roquettes sur un zeppelin inflammable pour échapper au "Pilote à l'Edelweiss", qui le traque sans merci mais que pour une raison que nous lecteurs ne comprenons pas encore il se refuse à affronter.
Bien servi par Dame Chance, Henri s'en est bien sûr tiré, son avion s'étant écrasé dans le no man's land… L'album s'ouvre sur un dialogue cocasse entre un jeune "poilu" imberbe écrivant une lettre à l'eau de rose à sa fiancée et deux vétérans se moquant plus ou moins gentiment de sa naïveté. Non seulement la scène est amusante, mais elle illustre bien l'une des hantises de "ceux du front" : se faire allègrement cocufier par les planqués et ces "jolis-cœur de pilotes". Cela ne rend son dénouement que plus tragique, ce que le dézoom d'Hugault sur la tranchée retranscrit parfaitement.
Se croyant sorti d'affaire, le fringant Henri ne peut toutefois guère se reposer sur ses lauriers, puisqu'en apprenant sa survie, Erik "l'Edelweiss" l'invite à le défier dans un duel aérien en un-contre-un. Dans un monde encore aussi chevaleresque que celui de l'armée de l'air de l'époque, Henri ne peut refuser sans perdre la face… mais il se refuse encore et toujours obstinément à faire face au pilote allemand. Une seule solution s'offre à lui : son frère jumeau Alphonse.
Et c’est là que l'intrigue se complique mais devient aussi plus passionnante, puisqu'au compte-gouttes, nous en apprenons davantage sur certaines des énigmes posées par le premier album : notamment pourquoi et comment Alphonse se retrouva reversé dans les chars après avoir été interdit de vol. Là encore, ce flashback de deux ans commence de manière amusante, avec la séance de "culbuto-nimbus" (ce n'est pas souvent que je complimente les dialogues de Yann, mais je reconnais que c'est bien trouvé) entre Henri et une jeune fille délurée, la fameuse "Sidonie" du titre, avant de sombrer très vite dans le tragique. Un événement fondateur, dont Henri ne sort pas grandi, bien au contraire…
Inversement, Alphonse, présenté jusque-là comme un triste peine-à-jouir un peu falot voire carrément lâche, se montre bien plus courageux qu'on aurait pu le penser, sans parler de sa loyauté envers un frère qui en semble de moins en moins digne, n'hésitant pas à jouer sur leur parfaite ressemblance pour concocter un plan retors qui lui permettrait d'esquiver le duel avec l'Edelweiss sans pour autant perdre la face… au sens figuré, car rien ne se passera comme prévu.
L'album se termine avec les cartes totalement rebattues, et en nous promettant l'arrivée de celle qui est la clé de tout ce mystère et que nous n'avons aperçue qu'en l'espace d'une poignée de cases : une beauté fatale du nom de Walburga…
Avec ce tome 2 Sidonie, Le Pilote à l'Edelweiss continue sur sa lancée : l'intrigue est plus mystérieuse que jamais, chaque secret révélé en engendrant un autre. Les personnages gagnent en épaisseur – le schéma classique du premier album s'effrite de plus en plus. Les dessins de Romain Hugault sont toujours aussi sublimes ; seul mini-hic, le cadre spatio-temporel ne lui permet pas de varier les plaisirs comme il a pu le faire sur ses deux précédents albums. Il y a également un passage douteux durant lequel, alors qu'Henri se familiarise avec la description de l'équipage du char de son frère, l'on apprend que celui-ci est composé d'un Corse vindicatif, d'un Breton austère et d'un Provençal bavard. Dire que je me plaignais du Belge du tome précédent…
Mais je pinaille, car quand le scénario est aussi trépidant et le dessin de toute manière aussi beau, on ne peut que, hum, "prendre son pied" avec cette Sidonie !