Il s'agit là d'un souvenir et d'une découverte vieille de presque dix ans, déjà. Ma première connexion au monde du genre Comics. Et quelle découverte !
Eté 2007, Bordeaux. Je suis dans le tram qui me ramène à mon premier logement " d'adulte " à Talence, engoncé dans ma nouvelle vie étudiante, et je feuillète un comics acheté à la librairie Mollat. Je feuillète, je dévore oui ! Le dessin de Templesmith me sidère. J'ai du mal à décoller mes yeux du dessin, si coloré et pourtant sans espoir, tel le monde qu'il décrit. Une civilisation de l'urbanité extrême, où l'Homme se désolidarise de l'Homme, et où chaque arpent de trottoir comme chaque building parlent des liens de parenté entre détresse sociale, misère et perte de sens.
Cette ambiance, ce cocktail, de nombreuses autres œuvres, avec brio souvent, l'ont servi. Au cinéma Seven me semble un bon exemple de ce côté poisseux que Fell transcrit dans sa description de la ville dans laquelle évoluent les personnages.
Fell. Le nom d'un inspecteur, dans la plus pure tradition du roman noir américain, désorienté, désillusionné, ne croyant plus en son métier ou si peu. Dès le début, son arrivée dans le commissariat du plus miteux des quartiers de Snowtown, cadre de l'action, apparaît comme une punition. Du destin, ou plutôt de ses supérieurs, qui le placardisent ainsi de l'autre côté du pont, avec interdiction de rejoindre de nouveau l'autre rive. Les épisodes se succèdent : Découverte de cet enfer, de ses habitants tous plus déformés les uns que les autres par ce quartier, personnage à part entière. Et puis, les enquêtes, malsaines, horribles, humaines donc. Au milieu de cet univers trouble, Fell rencontre son pendant féminin, gérante d'un rade déserté. La séquence de leur première soirée réussit à donner un sens propre au figuré : " L'amour laisse une marque ".
Cependant, la beauté étrange de ce comics tient à l'insertion progressive dans ce cadre, réaliste et désenchanté au premier abord, d'un voile de mythes et d'un parfum ésotérique savamment distillé. Snowtown est vivante, elle offre puis reprend, protège puis tue. Par peur, à l'image d'un des affreux arrêtés par Fell alors qu'il se fabrique des totems par le meurtre, les habitants basculent dans le monde des croyances, des légendes, pour donner une cape de mystère a une vérité plus simple : ils sont abandonnés à leur sort. Ce baroque de sortilèges invité dans l'enfer moderne donne une couleur unique à l'œuvre.
En définitive sous l'écriture d'Ellis, Fell c'est l'histoire d'un mariage épatant. Celui du roman noir américain, classique et intemporel, avec ses antihéros, ses ombres de la rue, ses histoires de vengeance familiales et de femmes fatales... et du dessin terriblement moderne et innovateur de Templesmith, pleins de fulgurances et d'éclats sombres.
Automne 2016, Bordeaux : Le plaisir est toujours le même. Grand dieux, et ce plaisir là, lui, ne vieillit pas.