Fujita Kazuhiro, il a un dessin qui marque. Il marque comme la poignée de main d’un garagiste et vous laisse du cambouis plein les doigts, mais ça fait le charme et l’authenticité de la chose. Si on s’en tient à des critères strictement techniques, pour ce qui est de leur élaboration, ses dessins, ils sont pas fameux. Il y a une maladresse infantile dans le tracé, et c’est ce qui fait qu’on peut les trouver appréciables : parce qu’ils ne ressemblent à aucun autre. Un dessin rudimentaire ou même rupestre, aussi longtemps qu’il a son propre style, sera toujours infiniment plus séduisant que ces mangas aux esquisses élaborées… mais dépourvues du moindre signe distinctif pour les faire sortir du lot.
Au dessin, j’y veux que du bien. Mais ce paneling, bon sang… c’est criminel de si mal présenter ses œuvres. Je ne l’avais pas relevé du temps de Moonlight Act ou de Karakuri Circus car il m’avait fallu un certains temps pour mettre le doigt dessus, mais la manière dont sont agencées les cases ne donnent pas envie de lire. La présentation laisse à désirer à défaut de savoir justement se faire désirer. Le contenu de Sôbôtei Kowasubeshi, il serait appétissant, que l’agrément scénographique nous me rendrait répulsif. Fort heureusement, fidèle à sa formule habituelle, Fujita saura aussi nous décevoir à l’écriture.
Ses mangas, je le remarque à présent, font tous étalage d’un onirisme patraque. On voudrait y croire à la féerie comme à l’horreur, mais cela nous parvient chaque fois sans conviction, si bien qu’on n’y croit jamais. Toute phase d’action – et le présent Shônen en est truffé – s’avérera confuse sur le plan graphique, renforçant ainsi le cheptel d’arguments d’un plaidoyer venu nous dissuader de poursuivre la lecture. Et ce plaidoyer, ça n’est pas moi qui le formule, mais l’auteur même de l’œuvre qui semble avoir écrit et dessiné sans que cela ne fut fait pour être lu, et encore moins apprécié.
Y’a pas d’effort, scénaristiquement parlant. À compter du premier chapitre, on fait tomber Sôbôtei et tout le monde veut l’éliminer. De là, le festival des protagonistes insipides s’annoncera à tambours battants. Les combats débraillés et dépourvus du moindre atome d’originalité conceptuelle s’enchaînent dans la disgrâce et l’ennui agité d’une narration erratique à souhait. Ça n’est jamais trépident. Pas une une émotion nous parvient. L’univers et ses contingences – à commencer par les plus surnaturelles d’entre elles – vont sans savoir où aller. Comme du temps de ses œuvres précédentes, toutes sorties d’un moule taillé de malfaçons flagrantes, Fujita Kazuhiro récidive dans l’élaboration malhabile d’un cadavre exquis qui n’en finit pas de se dessiner semaine après semaine.
Avec toujours, en plus, ce même duo central de protagonistes principaux, ceux-là étant encore plus plats que le papier sur lequel on les a imprimés. Sans un personnage qui sorte du lot pour susciter ne serait-ce qu’un vague intérêt, sans une intrigue construite qui sait là où elle va, sans un paneling décent, sans une émotion à nous faire parvenir et sans même une once d’action correctement déballée sur le dessin… que reste-t-il si ce n’est de l’encre jetée inconséquemment sur du papier ? Il n’aurait pas son dessin, le père Kazuhiro, que son manga lui vaudrait d’être une de ces denrées frelatées que l’épicerie Shônen actuelle écoule à raison de treize à la douzaine chaque jour qui passe.
On me l’avait pourtant bien juré que Sôbôtei Kowasubeshi, c’était tout de même autre chose que ce que son auteur avait pu nous faire parvenir auparavant. Il y a, apparemment, des nuances qui m’échappent.
Le surnaturel est présenté aléatoirement sans une construction stricte amenant à sa cohérence propre. Le tumulte se renouvelle sans cesse ; il n’est qu’une distraction de chaque instant visant à nous détourner d’un regard froid et posé sur le chemin parcouru par l’intrigue. Car dès lors où ce regard vous échappe, vous comprenez, à vous être égaré aussi loin dans la lecture, que vous vous êtes franchement perdu dans les méandres de l’improvisation agitée pour la seule finalité de l’être. Oh oui, il a écrit beaucoup cet auteur-ci. Et cette prouesse, il la doit au fait que ses scripts se sont toujours lancés en ligne droite, tête baissée, quitte à sans cesse trébucher et se fracasser le crâne au premier mur venu.
Pourquoi lire un manga qui, à chaque page qui défile, nous hurle un peu plus fort qu’il n’a pas envie d’être lu ? Que ceux qui s’étonnent que Fujita Kazuhiro ait pu autant dessiner dans sa vie comprendront que la quantité, toujours, s’accomplit au détriment de la qualité. Son dessin, il ne l’a jamais mis au profit d’une écriture travaillée.
Ah. Oui. Comme à chaque fois, tout finit bien et sans conséquence. Qui, avec le recul de tout ce que l’intrigue a pu déballer, pourrait oser m’asséner que l’auteur savait vers où il se dirigeait en lançant le premier chapitre de son œuvre ? S’il existe ce contradicteur, je crois qu’il aura davantage de culot à avancer que d’arguments. C’était plat, c’était épileptique plutôt que mouvementé, c’était mal écrit : c’était encore Fujita Kazuhiro à la manœuvre.