Sois bien calme, Modeste ! - Modeste et Pompon, tome R1 par jerome60
1955. En conflit avec Dupuis pour une sombre histoire de gros sous, Franquin claque la porte de l'éditeur de Spirou et trouve refuge chez Raymond Leblanc, responsable du journal de Tintin. Pour Leblanc, l'arrivée de Franquin est une aubaine, l'occasion rêvée d'instaurer un peu d'humour dans une publication jusqu'alors exclusivement dédiée aux séries d'aventure. En guise de préambule, le dessinateur ne reçoit que de vagues recommandations : pas de vulgarité et pas de gamins des rues, ce créneau étant déjà occupé par les Quick et Flupke d'Hergé. Après quelques jours de réflexion, Franquin apporte ses premières planches. Elles mettent en scène un couple non marié dont les relations sont uniquement basées sur l'amitié. Une petite révolution pour l'époque, de telles représentations sociales n'ayant jamais été mises en scène dans la bande dessinée européenne. Modeste et Pompon voient donc le jour dans les pages de Tintin le 19 octobre 1955.
Avec cette série, Franquin se lance dans le gag en une planche, une nouveauté pour lui. Pour seconder Modeste et Pompon, il créé Félix, un cousin représentant de commerce aussi volontaire que maladroit et un trio de neveux toujours prompts à faire des blagues. Plus tard, lorsque Goscinny et Greg signeront les scénarios, ils mettront en scène deux insupportables voisins Dubruit et Ducrin. A partir de cette galerie de personnages bien campée, Franquin va jouer sur le registre plutôt classique de l'humour domestique et s'appliquer à installer sa série au cœur des années 50. Visuellement, il s'attache à retranscrire le modernisme propre à l'après-guerre, notamment en matière de design. Tables, chaises, fauteuils et vases sont fortement inspirés des créateurs italiens de l'époque. Ne souhaitant pas trop s'appuyer sur la documentation, il va rapidement laisser libre cours à son imagination et inventer son propre mobilier. Le résultat est tellement bluffant que des responsables du musée d'art moderne de la ville de Paris vont le solliciter pour commercialiser une série de vases ressemblant à ceux présents dans la maison de Modeste. Le projet restera au stade de l'étude mais il montre à quel point Franquin a révélé à travers cette série d'insoupçonnées qualités de designer.
En 1957, le dessinateur enterre la hache de guerre avec Dupuis et créé pour le magazine Spirou le personnage de Gaston Lagaffe. Problème, son contrat avec Tintin s'étalant sur 5 ans, Franquin doit pendant plusieurs mois mener de front les deux séries. A l'issue de longues négociations, il cède les droits de Modeste et Pompon à Maurice Leblanc en échange de sa liberté. La série, d'abord reprise par Attanasio, passa ensuite entre les mains de nombreux autres dessinateurs (Walli, Loup, Mitteï). Franquin, de son coté, aura réalisé 183 planches entre 1955 et 1959.
Œuvre trop méconnue d'un génial créateur, Modeste et Pompon offre la vision synthétique d'une époque. Rien que pour cela, elle mérite que tout amateur de BD digne de ce nom se penche avec attention sur son cas.