Comme tout le monde, Staline a eu une jeunesse. Comme (presque) tout le monde, c’est à cette période qu’il a construit le socle de sa future vie d’adulte. Naissance en 1878 à Gori, en Géorgie. Mère couturière, père cordonnier. Ce dernier, violent et rongé par l’alcool, précipite sa famille vers là ruine. Pour protéger son fils, la maman place le petit « Sosso » à l’école paroissiale. Frappé par la vérole, renversé par un fiacre (il en gardera des séquelles à un bras), le gamin enchaîne les coups durs. La lecture d’Hugo, de Marx et du Germinal de Zola façonnent ses prises de position politiques en faveur du peuple contre le tsar, les élites et les financiers. Après cinq ans au séminaire de Tiflis, cet athée fauteur de trouble « ingérable et d’une insolence rare » est renvoyé sans ménagement. Il entre alors dans la clandestinité, s’engageant de façon radicale et violente auprès du futur parti bolchévique dont il prendra bientôt les rênes aux cotés de Lénine et Trotsky.
Je ne connais quasiment rien de Staline. Je le vois juste comme un abominable dictateur. Cette biographie a le mérite de m’en apprendre plus sur le personnage, sur le parcours qui l’a amené à devenir un monstre sanguinaire à tendance psychopathe. Une vie de famille difficile, les galères qui s’enchaînent, une enfance où l’on en bave et une envie de s’en sortir en écrasant les autres, en faisant fi de l’humain, en se gardant de toute empathie qui pourrait perturber la marche en avant d’un destin glorieux. Finalement, avant d'être un idéologue, Staline se comporte comme un caïd, un mafieux géorgien en guerre contre l’impérialisme russe.
Les auteurs ont l’intelligence de placer leur récit en 1931, au cœur du Kremlin, alors que Staline dispose des pleins pouvoirs depuis trois ans après avoir éliminé tous ses opposants. Le petit père des peuples va se confesser à un secrétaire du parti et raconter sa jeunesse. Cette astuce narrative permet d’emblée au lecteur de ne pas oublier que si le portrait des jeunes années offre l’image un peu romantique d’un voyou lettré fascinant ses camarades et capable de discours électrisant la foule, il n’en reste pas moins l’un des plus impitoyables tyrans de l’Histoire. Pas d’apologie donc. Ni d’excuses à avancer pour justifier l’injustifiable. Les événements s’enchaînent et illustrent avec limpidité la naissance du monstre, en dehors de tout jugement.
Le dessin réaliste donne dans l’efficacité et rappelle par moments le trait de l’excellent Jean-Yves Delitte, période Donnington. Un premier tome de qualité, percutant et documenté, loin de toute hagiographie, qui dresse le portrait d’un futur tueur de masse dans toute sa complexité.