Stage S
Stage S

Manga de Tomoya Harikawa (2022)

Tout d’abord, Yu Yu Hakushô.


Ce sera mon introduction, ainsi que ma conclusion.




J’imagine qu’on attend de moi que j’élabore. Soit.

Le personnage principal voit les esprits et se sacrifie pour sauver un enfant d’un véhicule qui allait le percuter. Une figure tutélaire d’essence divine le ramène à la vie en attendant de lui qu’il soit à son service en le suppléant dans la mission confiée. En sus, on retrouvera une histoire d’amour latente avec une camarade de classe insipide : le modèle extra deluxe de la petite amie parfaite. Vous aurez beau tourner ça comme vous voudrez : c’est Yu Yu Hakushô. L’intrigue, certes, s’en émancipe par la suite, mais l’amorce est simplement trop similaire pour détourner un regard regard pudique et faire semblant de ne rien avoir vu.


Le dessin et surtout ce à quoi il est mis à contribution rappellera immanquablement Fire Punch dans le trait avec, en supplément, une pointe de Tokyo Ghoul. Les graphismes, pour un Shônen, sont plutôt élaborés. Après Chainsaw Man et Blue Lock, les incursions du Seinen – au moins graphiquement – se font toujours plus fréquentes auprès du Shônen Jump. C’est à croire qu’ils commencent à comprendre qu’il est temps d’épaissir un peu le cuir d’un registre qui crève sur place au milieu de ses mièvreries coutumières.


Dans ce scénario qu’on nous propose, il sera question de changer le destin en cent jours. L’intrigue aura alors été ainsi délimitée ce qu’il fallait pour ne pas se risquer à une quelconque errance. Mais dès lors où il est question de Shônen, il y a toujours matière à faire du remplissage en épaississant artificiellement l’œuvre d’une sciure maculée d’encre.


La critique que je rédige présentement fait partie de celles qui me furent recommandées par l’un de mes abonnés. Soyons francs et parlons vrai, on m’a recommandé cette critique comme on commandite un contrat. Mon client, alors qu’il m’encourageait au massacre, me jurait ses grands dieux qu’on ne faisait guère pire en la matière que ce qui a été brossé ici. Des termes abjects lui furent accolés à ce manga… le pire d’entre eux allant jusqu’à évoquer Fairy Tail à titre comparatif. Autant dire que l’option nucléaire critique était au programme.


Ce contrat confié, cependant, j’y ai d’abord renoncé après avoir su plus exactement quelle cible on me désignait. Je rengainais et passait mon chemin : Stage S, en trois chapitres de temps, ne méritait apparemment pas le sort que je réserve habituellement aux pires prévarications éditoriales qui ont pu un jour me ternir les rétines.


Si je lui accordais sa chance à stage S – quelle erreur – ce n’était cependant pas pour lui signer un chèque en blanc. Car les manquements étaient légions dès les premières esquisses. Stage S, je l’ai comparé à Yu Yu Hakushô, mais j’aurais sans doute dû insister davantage sur sa parenté avec le registre de Tatsuki Fujimoto dont j’ai précédemment cité deux des œuvres. Par-delà le dessin, la comparaison se justifie au regard par l’emploi d’un style gore typique à l’auteur.

Quelque chose un brin tapageur, mais pas de trop pour parvenir à plaire tout en restant parfois excessif et immature dans le déballage sanglant. Les démembrements y ont la part belle au point d’en devenir rébarbatifs et lassants. Et quand je me lasse de voir des êtres humains se faire équarrir, c’est qu’on a décidément trop abusé des bonnes choses. Même les effets de flammes sont analogues ; on dépasse alors outrecuidamment le stade de l’hommage pour cette fois frayer avec un emprunt trop généreux dans le registre des copains.


Comparaisons toujours – car c’est à croire que Stage S n’est fait que des œuvres des autres – les figures monstrueuses nous apparaîtront comme des Hollows de synthèse. Et d’une synthèse qui manque cruellement de suite dans les idées.


Les personnages, eux non plus, ne vous encourageront pas à poursuivre la lecture en leur compagnie. Entre un protagoniste principal transparent au point d’être substituable à du mobilier et des personnages aussi mal écrits que clichés qui, soit en font trop, soit pas assez, il ne se trouve jamais une once de mesure pour faire se mouvoir tout ce petit monde dans l’intrigue. Une intrigue qui… n’est pas la sienne. Harikawa s’est saisie de Jujutsu Kaisen d’une main, de Chainsaw Man de l’autre, puis a compressé les deux œuvres pour essayer d’en générer une hybridation bâtarde. Le résultat, loin d’être catastrophique, trouvant même le moyen d’être convainquant, n’a cependant pas une idée neuve à offrir. Meguru rejoint la Toraden comme Denji s’est associé Devil Hunters ou Yûji s’est retrouvé parmi les Exorcistes. D’ailleurs, l’élimination des monstres opérés par la Toraden est littéralement qualifiée d’exorcisme. Pas même un effort n’a été fourni pour tenter de se démarquer.


Et puis, à mesure que ça se poursuit, que mes ressentis se mêlent à mes observations, je comprends pourquoi mon abonné m’a mis une sulfateuse dans les mains avant de me suggérer cette lecture. J’avais rengainé parce que je manquais de vigilance et surtout, de recul sur la lecture. Mais je me suis fait une raison avant de me raviser avec empressement. Car il faut attendre par moins de sept chapitres pour comprendre que Stage S, en tant qu’œuvre, n’a rien pour elle et ce, au sens propre et figuré. Tomoya Harikawa n’écrit pas un manga qui lui plaît, mais un manga qui correspond à ce qui doit plaire. En piochant ici et là dans les Shônens à succès du moment, elle aura cherché à nous construire une créature de Frankenstein faite du corps et de l’âme d’autres compositions dont l’âme était déjà partiellement déficitaire pour bon nombre d’entre elles.


Stage S, à proprement parler, n’existe pas. Harikawa, en donnant un nom à son œuvre, n’a fait qu’accoler un titre à une recette qui n’est faite que des restes frelatés d’autres plats. Sans corps et sans âme, Stage S laisse son récit se mouvoir comme un spectre blafard. Du fait que rien ne le compose, rien n’en résulte. Sans une écriture propre, il n’y pas l’ombre d’un enjeu et sans enjeu, il n’y a ni tension ni intensité. Aussi, si la scénographie et les personnages sont faits d’inanité à l’état brut, que pouvons-nous retirer de Stage S ? Ses combats ? Mais comment au juste ? Avec des pouvoirs qui s’orchestrent sans avoir été définis, où la cohérence n’a aucune prise sur ce qu’on lit, nous n’aurons affaire qu’à des agitations aléatoires.


Tout s’improvise dans un espace quadrillé par les emprunts commis dans d’autres Shônens, c’est-à-dire dans un espace particulièrement restreint. L’intrigue, ainsi, s’élabore comme le parcours d’une boule de billard qui n’en finirait pas de rebondir sur les bords sans jamais finir dans un trou. Le récit chemine ainsi sans finalité et sans même savoir où il va d’un pas à l’autre. J’ai rarement connu un manga aussi impersonnel de bout en bout. Excepté en une occasion funeste


Parce qu’elle n’a pas de corps, Stage S est protéiforme et fluctue d’un chapitre à l’autre, s’inspirant alors de la tendance éditoriale d’un instant donné pour prendre la forme qui est attendue d’elle. Une créature de Frankenstein à laquelle on aurait greffé des gènes de caméléon et de pieuvre mimétique : c’est une abomination au-delà de ce qui se conçoit habituellement. Je comprends alors, mais bien tard, pourquoi mon abonné a comparé Stage S à Fairy Tail. Car de même que Fairy Tail était un pot pourri – et bien pourri – de tout ce que le Shônen avait de plus grossier et caricatural, la même recette est cette fois appliquée ici, mais en empruntant avidement les caractéristiques des Shônens contemporains, ceux-ci étant alors plus sombres, mais tout aussi limités dans le registre qui est le leur. L’auteur, ici, s’essaye à tout à la fois en oubliant même à court terme ce qui avait initié l’œuvre ; son manga est conçu comme une expérience de chimie continuelle. On diminue la dose de Demon's Slayers pour y ajouter du concentré de Chainsaw Man, puis on distille le tout avant de le faire cuire dans une solution de Jujutsu Kaisen (qui était déjà un pot-pourri), puis on varie les doses de chaque ingrédient selon la fumée qui s’en échappe et on remodèle la bouillie de sorte à ce qu’elle plaise au regard des borgnes. Voilà ce qui arrive quand on écrit avec un cahier des charges éditorial, on cherche à plaire en fonction de la demande plutôt que de proposer une offre unique. Ça, ils s’étaient bien gardés de nous en parler dans Bakuman.


À quelque chose, toutefois, malheur est bon. Cette sinistre expérience éditoriale m’a permis de comprendre que le renouveau du Shônen – comme chaque nouvelle mue effectuée par le passé – ne s’embarrasserait pas d’une dose de Seinen, mais d’un lent processus créatif impulsé depuis son propre registre. En l’état, je dirais que des auteurs comme One sont plus susceptibles de redonner un souffle au genre que ne l’est Fujimoto et ses émules. Démonstration en a en tout cas été faite sous mes yeux consternés. Mon acuité critique se renforce des erreurs des autres ; c’est dire s’il a gagné en puissance après une pareille lecture.

Josselin-B
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le 23 juin 2023

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Josselin Bigaut

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