À lire en complément de ma critique de Jojo’s Bizarre Adventure.

Y’en a qui prétendent que la refonte de Ghostbuster a échoué par pure misogynie. Que le public, oppresseur de femme en puissance, ne supportait pas physiquement qu’on ose se dispenser de chromosome Y. Mieux vaut penser ça que de tenter une introspection remarquez, c’est plus reposant. Personne parmi les créateurs ne s’est pas exemple demandé si ce film n’avait pas été une catastrophe critique du fait que les personnages avaient été écrits sans une once de talent et que cette suite s’était fondée comme une cassure plutôt qu’une continuité. Tout ça pour dire que la misogynie a bon dos pour se défausser de son incompétence en matière d’écriture d’un nouvel épisode d’une saga estimée de tous.


Parce que, figurez-vous, j’en connais un autre qui a tenté le pari du gynocentrisme dans son œuvre ; et celui-là il a lancé les dés, et s’est contenté de faire un double six sans même avoir douté une seule seconde du résultat. Un certain Hirohiko Araki pour tout vous dire, l’auteur de l’œuvre présente dont on fera ici la critique… si ce n’est même l’éloge.


Ce bon monsieur Araki, avant de frayer du côté de ces dames, partait initialement avec un vent contraire ; une tornade. Le début de son œuvre était en effet maculée de testostérone. Ce que vous appelez une cuisse, le protagoniste moyen l’avait en guise de poignet. L’œuvre, graphiquement, et même pour ce qui est du fond, était masculine à outrance, inspirée de Tetsuo Hara pour le dessin et de l’héroïsme à l’ancienne pour l’écriture. Rien, à ce stade, ne laissait seulement présager ne serait-ce qu’un atome d’idée pouvant conduire à féminiser l’affaire.


Le trait de l’auteur se sera pourtant affiné le temps de se singulariser et de s’accomplir par une mue advenue durant les événements de Diamond is Unbreakable. Et cela, pour finalement presque virer au Bishônen avec Golden Wind. Ça s’était certes féminisé dans le trait, mais de personnages féminins, on se gardait bien d’en introduire. Une Yukako par-ci, une Trish Una par-là ; rien que des lots de consolation bien maigres pour donner le change au public féminin. Et puis soudain, vînt la bascule.


Non seulement le protagoniste devenait la protagoniste, mais elle s’en allait se complaire dans un environnement plus féminin que les tribunes d’un concert de Patrick Bruel – ouais, j’dénonce – en s’installant confortablement dans une prison pour femmes. Car quand le petit père Araki se dit qu’il va un peu changer nos habitudes, il redessine tout le paysage histoire de dérouter.


Une Jojo au féminin, j’étais pas très partant. J’ai comme un préjudice contre ces dames quand il est question de leur présence dans un manga. Je craignais que l’œstrogène ambiante n’empoisonne un puits d’idées fertiles dont je ne m’étais que gargarisé jusqu’à présent. D’autant que Jolyne m’avait fait une très mauvaise première impression alors que son tout premier propos était franchement licencieux. Ça se sera corrigé par la suite. Parce qu’il est comme ça Araki, il gomme sur le tard. Un peu comme quand il présente un personnage féminin pour finalement en faire un mec. Certains y verront un témoignage de sympathie adressés aux légers hébétés, ceux qui connaissent l’animal verront une énième de ses bourdes. Une bourde en deux temps puisqu’il modifiera même le stand de ce même personnage en cours de route. On aurait dit qu’il mettait du blanco tant ses corrections étaient grossières. Mais ces négligences innocentes contribuent au charme de l’œuvre depuis au moins Stardust Crusaders.


L’auteur, il faut le dire, n’a jamais vraiment trop non plus su écrire ses personnages. Les rendre plaisants, ça, oui, il a toujours fait ; l’homme est un maître de la scénographie autant pour ce qui tient au dessin qu’à ce qui les compose. Mais une personnalité de protagoniste dans un JJBA, exception faite de Yoshikage Kira, ça ne pisse jamais très loin au regard de la construction. Et paradoxalement, c’est ce qui rend ici les personnages appréciables. En s’en tenant à la mise en scène seulement de leur caractère comme cela s’est toujours fait auparavant, elles n’ont rien d’horripilantes ces demoiselles, elles sont presque interchangeables avec les héros qui les avaient précédés pour tout dire. Aussi, si quelqu’un, comme moi, peut se montrer dubitatif et renâcler quand le sexe faible vient faire sa loi dans le récit – la fiction ayant tendance à démontrer que cela mène trop souvent au désastre – il n’y verra ici aucune matière à s’en plaindre. Bien au contraire. On a beau avoir repeint l’avion en rose, il s’agit finalement du même bolide avec le même pilote à son bord. Tout change, mais en réalité rien ne change.


De par ses aventures précédentes, le récit de Jojo’s Bizarre Adventure aura partagé son intrigue entre des périples allant parfois jusqu’au bout du monde et un relatif huis-clos lorsqu’il alternait d’une partie à l’autre. L’univers carcéral, alors, refermera ici un huis-clos plus serré que jamais mais qui, sur la fin de son récit, trouvera moyen de répandre ses horizons afin de nous redonner goût aux grands espaces.


Il sera qui plus est question de sauver Jotarô, devenu malgré lui la demoiselle en détresse de circonstance. Les rôles sont inversés et, c’est à sa fille cette fois de lui venir en aide depuis le pénitencier de Green Dolphin où elle prolongera son séjour afin de mieux retrouver l’antagoniste principal qui y déambule. Comme pour les parties précédentes, le fil de l’intrigue de Stone Ocean est lié à Dio. L’arc et la flèche d’Enya avaient ouvert la voie à Diamond is Unbreakable, Giorno lui avait fait office de progéniture bâtarde avec Golden Wind tandis qu’ici, c’est un des apôtres du maître qui sévit ; le continuateur de ses œuvres : le père Enrico Pucci.

Les deux s’étaient rencontrés au Caire car partageant quelques affinités. Oui, effectivement, il existe une planche que d’aucuns pourraient qualifier de... tendancieuse (https://static.wikia.nocookie.net/jjba/images/5/5f/Pucci_avec_DIO.png/revision/latest/scale-to-width-down/250?cb=20200419133507&path-prefix=fr) ? Mais c’est extrapoler que de supputer quoi que ce soit. Car vous savez, c’est une de ces séances de lecture innocentes entre hommes, sur un même lit… et si l’un d’eux est partiellement dénudé, c’est aussi parce qu’il fait très chaud en Égypte. La variable climatique ne doit pas être occultée, ne précipitons pas nos conclusions. Non, vraiment, il faut s’être rendu au Caire pour comprendre. D’ailleurs, Dio est au-delà de tout soupçon, il a même été Cowboy au Texas. Cessons de spéculer je vous prie. Il n’y a rien à voir. Rien du tout.


Pour la première fois depuis longtemps, c’est donc la volonté de Dio qui s’accomplit par l’intermédiaire d’un de ses derniers fidèles, le dernier coup de semonce afin la fin du monde. Avant la fin d’un monde en tout cas.


Si l’intrigue de Stone Ocean met du temps à se mettre en place et lambine quelque peu à ses prémices, l’engrenage, quand il est engagé par White Snake, entraîne une série de rouages qui s’activent à une vitesse folle. Le rythme devient haletant et frénétique avant que l’on ait le temps de s’en rendre compte. L’arc des quartiers d’isolement, à ce titre, a un quelque chose de folie furieuse inaltérée dont il subsistera des restes jusqu’à la fin de l’œuvre.


Les alliés de Jolyne seront plutôt sympathiques dans la variété de leur caractère respectif. Green Dolphin ayant été présenté comme un pénitencier mixte avec un quartier masculin, on retrouvera alors quelques mâles pour gonfler le rang des protagonistes et surtout celui des ennemis. Il y aura même du plancton ; un peu comme il y avait eu auparavant un chien, un faucon, un orang-outan, un chat-plante ou encore une tortue.


Les bâtards de Dio, comme ultime garde prétorienne de Pucci, engagent une impulsion donnée à une intrigue qui renouvelle ainsi le cadre du récit en cours d'intrigue pour nous ébaudir sans pour autant nous égarer.

De l’émotion, ça aussi il y en aura, à foison et peut-être davantage encore que durant les parties précédentes. La fin de Stone Ocean pèsera alors pour beaucoup dans cette variable, mais pas exclusivement. Voilà qui corrige alors les tares flagrantes d’un Golden Wind qui, à la veille de cette sixième partie, aura failli à nous faire ressentir quoi que ce soit tant ses personnages étaient froids et ses enjeux stériles.


L’excentricité, coutumière à l’auteur du fait de ce que permettent les stands, y sera ici peut-être plus poussée que jamais. Poussée, mais sans jamais être poussive. Les pouvoirs des stands présentés, pour la plupart d’entre eux, sont par ailleurs géniaux, donnant lieu à des situations improbables et délectables que seule l’ingéniosité et l’imagination d’un véritable esprit créatif peuvent élaborer de concert. Si ce n’est un début vaguement laborieux, on ne trouvera que rarement un prétexte à se plaindre de ce qu’on lit ici.


Stone Ocean, comme pour mieux compenser une carence béante abandonnée à l’issue de la partie précédente, sauvera l’honneur avec sa bataille finale. Dans le Panthéon des combats de Shônens les plus époustouflants, Araki y trouve sa place en cinq circonstances ; de Battle Tendency à Steel Ball Run sans toutefois passer par le piètre Golden Wind. L’affrontement final dont nous serons émerveillés ici est une somptuosité graphique, conceptuelle et créative comme on n'en a jamais été gratifié. Difficile de classer les meilleurs batailles finales de Jojo’s Bizarre Adventure tant chacune s’illustre dans un registre à part. Mais soyez priés de croire que ce registre-ci, unique en son genre comme à chaque fois, ne pourra que ravir même les plus sceptiques des premiers instants.


Et puis, alors, voilà la fin. Oui, la fin, c’est le mot juste, en tout cas le seul qui convienne.

Quand Hirohiko Araki poursuivait son récit, de partie en partie, il prenait de l’avance sur la chronologie. Ainsi, si Diamond is Unbreakable advenait en 1999, Golden Wind en 2002 et Stone Ocean en 2011, Araki avant près de dix ans de retard sur la temporalité de sa trame qui, inexorablement, traversait le temps. Avec le « Reset » de Made in Heaven, l’auteur nous offre ici une fin émouvante en s’accordant en plus une occasion de se renouveler. Une occasion gâchée peu de temps après quand il fut question de se lancer dans l’infâme Jojolion.

Stone Ocean est un rebond fulgurant consécutif une dégringolade. Quand Golden Wind nous abandonnait sur une déception cuisante et, il faut le dire, particulièrement frustrante, Stone Ocean impulsait un nouveau souffle qui, à son terme, en présageait un nouveau tout aussi intense. Hirohiko Araki a le chic pour se renouveler ce qu’il faut sans jamais se trahir. Stone Ocean, en tout cas, constitue à ce jour la preuve par quatre qu’un sommet peut-être atteint même après s’être pris le pied dans une crevasse. Souhaitons que cet exemple présage un nouveau décollage après l’impardonnable chute libre que fut Jojolion.

Spoiler : J'ai pas souhaité assez fort, je pense.

Josselin-B
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le 29 mars 2024

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Josselin Bigaut

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