Pages arrachées aux manuels d'histoire franco-algériens

On le sait, que les relations franco-algériennes sont encore douloureuses. On le sait, mais c'est un peu vague, on n'a pas envie de plonger les yeux dans cette plaie à moins d'avoir dans sa famille des raisons personnelles de s'y accrocher.

Sonder la plaie, en cartographier chacun des deux rebords, c'est ce que fait ce fort bon album de Ferrandez qui fait suite ) ses Carnets d'Orient puis à ses Carnets d'Algérie.

Et je tiens à dire mon admiration non seulement pour les recherches de l'auteur, mais aussi pour la manière dont il garde son style graphique intact. On a vu trop de dessinateurs de bande dessinée, en vieillissant, perdre en précision. Ce n'est pas le cas de Ferrandez.

Comme dans les albums précédents, l'ouvrage est un récit choral qui suit plusieurs destins à plusieurs époques différentes, chaque chapitre montrant, à un moment entre 1962 et 2019, où en est la relation France-Algérie. Le récit n'est pas chronologique, il fait des allers-retours entre les générations et ça marche très bien. On parle beaucoup mais c'est profond.

Chap. 1 - Paul-Yanis est un journaliste envoyé couvrir le mouvement du Hirak, qui reprend les slogans de l'insurrection de 1954 ("Seul héros le peuple") pour tenter de mettre à bas le régime militarisés. Paul-Yanis en profite pour retrouver la trace de la tombe de sa tante, qui a été saccagée. Il rencontre Nour.

Chap. 2 - Nour est une jeune femme qui refuse de se voiler. Elle rencontre Paul-Yanis en 1988 ; ils se donnent rendez-vous au musée des Beaux-Arts. Elle lui explique comment la révolution a été confisquée à l'indépendance (c'est le chapitre sans doute le plus magistral). Le journaliste parvient à la persuader de livrer ce témoignage en cachant son visage.

Chap. 3 - Hakim est de la génération de Nour. C'est le fils d'un combattant de l'indépendance devenu colonel du régime. Après avoir fait l'armée, il a plaqué pour rejoindre le FIS. Il est entouré de deux moudjahidins d'Afghanistan et est bien sûr très intolérant.

Chap. 4 - Samia est une Algérienne vivant en France dans les années 1960. C'est la mère de Paul-Yanis, qu'elle a avec un ancien soldat français. Médecin, elle aide dans les bidonvilles aux abords de Paris.

Chap. 5 - Noémie est une vieille Pied-Noir qui perd la tête. Obligée de s'installer en France, elle ne s'y sent pas comme dans son pays. Avec son neveu, elle revient dans l'Algérie récemment décolonisée. Ils retournent dans leur ancienne plantation et se font rembarrer sans ménagement par des "Pieds-Rouges", des militants d'extrême-gauche venus installer une plantation autogérée. Noémie décide finalement de rester à Alger où elle meurt quelques années plus tard.

Chap. 6 - Lebreton. Lebreton est l'ancien officier d'Octave, le père de Paul-Yanis. Ils se recroisent à la basilique Notre-Dame d'Afrique en 1965. Il est devenu un agent des renseignements qui défend les intérêts que la France a gardé sur place. Ils réfléchissent à leurs responsabilités mutuelles.

Chap. 7 - Mathilde. C'est la Pied-Rouge qui rembarre Noémie quand elle visite son ancienne propriété. Croyant en la victoire des pays émergents contre le colonialisme, son groupe doit partir après le coup d'Etat de Boumedienne contre Ben Bella. Elle sortait avec un jeune officier algérien, Bouzid, qui profite du coup d'Etat pour prendre du galon et s'avère très conservateur.

Chap. 8 - Bouzid. Devenu un haut dignitaire de la junte au pouvoir, il est interviewé par Paul-Yanis et reste dans la doxa, qui envisage d'annuler les élections si jamais ces dernières allaient porter le FIS au pouvoir en 1991.

Chap. 9 - Paul-Yanis. Victoire du FIS au pouvoir en 1991. Pour ramener le calme, Boudiaf est rappelé. Il donne une interview secrète à Paul-Yanis, dans laquelle il veut balayer la corruption du régime. En sortant, ce dernier est agressé et son enregistrement est volé. Peu après Boudiaf est assassiné. La décennie noire commence.