Qui a dit que Superman était un personnage sans psychologie ?
J'ai jamais aimé la kryptonite, d'aussi loin que je me souvienne. J'ai toujours trouvé ça con. On a beau inventer toutes les excuses possibles et imaginables, roche rendue radioactive par l'explosion de Krypton en tête, ça n'en reste pas moins un caillou qui affaiblit Superman de manière pratiquement magique, et qui n'affecte d'ailleurs personne d'autre que les Kryptoniens. Ok, c'est un ressort narratif utile, l'arme ultime, tout ça, mais justement, ça pue le ressort narratif à trois kilomètres, et j'aime pas qu'on me prenne pour un abruti. Du coup, comment utiliser cela aujourd'hui ? Comment est-ce perçu, mis en scène ? C'est ces questions dans la tête que j'ai commencé à lire Kryptonite. Et puis, il y avait aussi le plaisir coupable de pouvoir profiter des superbes dessins de Tim Sale.
Première surprise, le mental de Superman. L'on aurait pu croire que pour une histoire qui met en scène la faiblesse du surhomme, celui-ci serait au sommet de sa confiance en soi, inébranlable, prêt à subir une terrible et dramatique blessure d'orgueil. Eh ben non. C'est un Superman terriblement humain auquel on a droit. Alors qu'il n'a commencé son activité de sauveur de l'humanité que depuis quelques mois, Superman est très fragile. Il n'a aucune idée de ce qui peut lui faire du mal et ce qui ne peut pas, il cherche dans ses actes l'humanité qu'il ne trouve pas dans sa nature de presque immortel. Encore inconscient de ses origines, hormis le fait que les gens qui l'ont élevé ne sont pas ses parents biologiques, Clark est émotionnellement très délicat, coincé entre son devoir de sauveur de l'humanité et sa volonté de mener une vie normale, qui lui est refusée puisque même en civil il est contraint de déguiser sa réelle personnalité. Il voudrait passer du temps avec ses parents en tant que Clark Kent et poursuivre sa romance avec Lois Lane en tant que Superman, mais il ne parvient pas à gérer toutes les facettes de sa vie à la fois. C'est alors qu'arrive en ville un certain Gallo (si je ne me trompe pas dans le nom), ancien grand criminel mafieux apparemment reconverti en philanthrope, qui amène avec lui un mystérieux météore vert...
Ouais. Et je tais encore certaines choses, là. Kryptonite n'est pas un bête affrontement aux proportions démesurées mais un récit dans lequel on côtoie Clark Kent de près. Du bon Superman, donc. C'est d'ailleurs assez amusant, car je lis beaucoup de personnes qui disent ne pas aimer Superman "sauf dans All-Star Superman, Kingdom Come, Kryptonite,..." et autres grands moments du personnage. Je sais que proportionnellement il y a bien plus de récits sur le Kryptonien que les quelques-uns cités, mais il y a suffisamment d'histoires cultes autour de lui que pour pouvoir affirmer que non, ce n'est pas un héros unidimensionnel, monolithique, sans intérêt, mais au contraire une mine de bonnes idées pour des auteurs assez talentueux que pour les exploiter. J'aime Superman car il est terriblement humain (tout autant que j'aime Batman parce qu'il dépasse son humanité), et Kryptonite est une série touchante. Darwyn Cooke a fait un très beau travail, bien qu'il soit finalement resté trop modeste dans les ambitions de son histoire - on aurait souhaité un final un peu plus retentissant par exemple, mais finalement ça ne gêne pas. Cette série ne se veut pas révolutionnaire, brillante, mais une vision, une assez belle vision d'ailleurs, intelligente et nuancée.
Tim Sale... Ben Tim Sale est égal à lui-même, visuellement c'est splendide, dans une atmosphère rétro très maitrisée tout à fait savoureuse. Je le préfère toutefois sur du Batman, où il laisse libre cours à une imagination débridée, plutôt qu'ici, où il travaille plus dans la finesse, ce qui convient paradoxalement moins à son style. Mais ça reste sublime, et c'est un plaisir de voir le grand gaillard qu'est Superman faire des moues d'adolescent et saisir ses minuscules parents dans ses bras.
Une grande série.
