Suzette ou le Grand Amour
6.7
Suzette ou le Grand Amour

BD franco-belge de Fabien Toulmé (2021)

Pas terrible cette BD.


Je trouve le propos assez démoralisant. L'auteur vente l'ouverture d'esprit mais n'offre jamais qu'un produit au message très lisse, très convenu et je dirais même très conservateur malgré les apparences. Tout d'abord on nous parle beaucoup de liberté, la liberté de la femme, son indépendance, son droit à l'amour. Mais qu'en est-il réellement ?


D'un côté on a ce couple qui fonctionne bien à condition que les deux loustics vivent ensemble leurs aventures et non séparément, parce que le vrai amour, c'est la solidarité dans tout. Pourquoi toujours mettre en avant ce schéma déjà valorisé par les films hollywoodiens ? ne peut-on vraiment imaginer un couple où chacun vit sa vie et où tout va très bien ? Ici, le compagnon souhaiterait que chacun vive sa vie, ait ses amis, ses sorties, l'héroïne est d'accord mais cède assez vite. Evidemment, le compagnon a ses torts, il exagère, mais elle aussi, en lui demandant de venir une semaine complète avec elle pour une affaire qui ne le concerne pas directement. La demoiselle sera-t-elle remis en question à la fin ? Pas vraiment.


De l'autre côté, on a la mamie, une femme dont la vie va être bouleversée par cette petite fille qui ne prend pas non pour une excuse. Parce que quand quelqu'un dit non, ça veut dire peut-être. Cela ne vous rappelle rien ? Toujours est-il que la grand mère n'est pas très chaude pour retrouver son ex, ce n'est pas grave, la petite fille va le faire, va même en parler à son copain, va déjà faire le tri et va une semaine plus tard ramener à sa grand mère une liste d'hommes. Elle ne veut pas partir ? Ce n'est pas grave, elle va insister un peu, elle finira bien par céder. Et elle cède. Une fois sur place, la grand mère aimerait passer un peu de temps tranquillos, mais la petite fille a décidé qu'il valait mieux se charger de cette affaire tout de suite. La grand mère semble heureuse mais l'est-elle vraiment ? Pour rappel, elle n'a pas vraiment choisi non plus son premier mari et semble être 'heureuse' aussi. En gros, que le voyage ait été fait ou non, je ne pense pas que la mamie aurait été malheureuse.


L'auteur décide d'aborder la sexualité. Après que la fille ait fait tout un discours opposant patriarcat et sexualité de femme, avec des phrases toutes faites, aucun approfondissement du propos ni réelle tentative de le comprendre. Résultat ? La mamie finit par coucher à la fin mais à son rythme. Notons que les mamies qui sont plus ouvertes sont soit des langues de vipère (dévalorisation totale lors du bal) soit une amie sympa mais qui se pétera la hanche (même si cela n'a rien à voir, notons que cet handicap aura permis de freiner ses ardeurs). Quant à l'héroïne, malgré ses discours, la scène de sexe semble indiquer qu'ils se sont contentés du bon vieux missionnaire.


Si cette hypocrisie était volontairement affichée, ça aurait pu être très intéressant. Sauf que ce n'est pas le cas, tout du long on ne ressort avec cette impression que les personnages s'émancipent des vieilles règles mais en fait l'auteur ne fait que les renforcer. Tout au long il nous balance des théories pas fausses, mais jamais développées, du coup il n'y a aucune remise en question, aucun approfondissement. C'est juste idiot et superficiel, ça ne paraît pas du tout 'vrai'.


Après, tout ceci n'est qu'un choix qui n'engage que l'auteur et il a bien le droit d'avoir ses convictions, mais disons que ce qui agace le plus, c'est cette apparente ouverture, alors qu'en fait, c'est très fermé : le sexe reste traditionnel, la manière de gérer un couple aussi, les bons vieux sont les vieux qui restent sages... N'oublions pas que les films porno existe depuis que les caméras existent, que la sexualité existe depuis que l'homme existe. Et que même si on aime tous à s'imaginer que nos ancêtres étaient sages et que c'est notre génération qui a donné un coup de pied dans la fourmilière du sexe, ce n'est pas vrai, peut-être que ma grand mère a participé à une orgie, peut-être que la vieille voisine d'en face adore se faire éjaculer sur les seins, peut-être que la vieilles du bout de ma rue est une femme fontaine et qu'elle a eu des centaines d'amants... Cela n'en fait pas des mauvaises personnes pour autant.


Pour ce qui est du récit, il est tout aussi superficiel que le message. C'est-à-dire qu'il ne se passe pas grand chose, que les conflits sont très faibles que les objectifs sont atteints sans trop de peine. Ajoutons à cela des dialogues de la vie de tous les jours qui ne servent à rien, en plus des dialogues utiles répétés plusieurs fois (quand l'héroïne résume sa soirée à son mec et qu'on a donc droit à une redite des pages précédentes...). Je ne suis donc pas opposé à ce que l'auteur mette en valeur ses convictions, mais quand un personnage parle féminisme en mode automatique, sans que ça ne se justifie réellement, et qu'en plus ce n'est même pas développé, là on peut parler de mauvaise écriture : on sent que c'est l'auteur qui voulait parler de ça et non les personnages. Les personnages sont vides, assez peu caractérisés ; la mamie, on retiendra qu'elle est discrète et réservée, mais son côté soumission, je ne pense pas que l'auteur en était conscient, c'est dommage, ça aurait ajouté une sacrée profondeur, mais là on retiendra surtout une forme de gentillesse ou je ne sais quoi. L'héroïne est une chieuse qui s'emporte très très vite (je te quitte parce que t'as pas voulu me suivre en Italie pendant une semaine, alors que t'as des partiels à réviser - que les amis soient une entrave à son bonheur je le comprends, mais dans ce cas il aurait fallu supprimer les examens de l'équation pour que ça soit vraiment grave). Le mec est un type cool qui aime s'amuser mais qui ne prend pas ses responsabilités. Y a pas vraiment de scènes pour mettre en avant cela au-delà du fait qu'il préfère passer du temps avec ses amis. Mais soit.


Le graphisme fonctionne. Pas fan à la base, mais l'auteur délivre quelques chouettes compo malgré tout. Je suis plus réticent en ce qui concerne les mains, qui ressemblent à des gros boudins. Le découpage est un peu mou, avec beaucoup de pauses et de poses qui cassent le rythme, qui appuient un peu trop le drama et qui sont en plus très convenues et faciles. Le choix de couleurs fonctionnent, mais on aurait aimé un panel plus large d'ambiances (au final on comptera 3 ambiances sur les 350 pages). La typo fonctionne, le texte n'est jamais envahissant malgré les longs dialogues. Les pages sont bien aérées grâce à ce style épuré ; les quelques grandes vignettes sont les bienvenues, dommage qu'il n'y en ait pas plus en fait. Par cont rele tout est quand même un peu long et aurait pu être raccourci.


Bref, pas terrible cet album ; sans tenir compte de ce que l'album véhicule, j'ai trouvé le récit assez facile, insipide, dénué de conflits, aux résolutions trop convenues et faciles, les personnages sont pauvrement écrits et exploités ; le dessin relève le niveau mais ce n'est pas suffisant.

Fatpooper
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le 18 juil. 2021

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