Taar le rebelle
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Taar le rebelle

BD franco-belge de C Moliterni et J Brocal Remohi (1976)

Première heroic fantasy à la française

Cette BD est véritablement un précurseur de l'heroic fantasy en France, puisqu'elle apparaît en 1976, sous le crayon de l'Espagnol Jaime Brocal Remohi, dit Brocal, sur des scénarios de Claude Moliterni, connu surtout comme historien de la bande dessinée. Je crois que beaucoup de lecteurs de la génération qui a lu Lanfeust de Troy ou la Quête de l'oiseau du temps vont rigoler ou mépriser Taar, ce qui nécessite une explication : copie quasi conforme de Conan, qui à l'époque, restait la seule référence du genre, mais qui n'avait pas tant percé que ça en France, Taar illustrait parfaitement l'univers merveilleux qu'est la fantasy, mais c'est une fantasy très différente des BD apparues dans les années 80 et 90 qui elles sont inspirées plutôt des jeux de rôles.
Ici, on est dans un monde à la Conan, c'est à dire du "sword and sorcery", ce que j'appelle souvent le style "peaux de bête et gros serpents", peuplé de créatures hideuses, de monstres chimériques, de redoutables sorciers, et surtout de guerriers féroces et de barbares.
Dans ce premier album, Taar doit subir une épreuve initiatique pour gagner son épée et succéder à son père mourant à la tête de son peuple, à Auphiria, village où il est né. La seule différence avec Conan qui cherche à conquérir des territoires à la force de son épée, c'est que Taar est un guerrier aux instincts pacifiques qui met son épée au service des plus faibles, prône la paix et protège son peuple. Le plus souvent, on vient le chercher pour qu'il débarrasse une contrée d'un monstre ou d'un tyran qui opprime un peuple.
Il faut admettre que Moliterni a imaginé des scénarios qui souvent manquent de nuances, avec beaucoup de naïveté, des dialogues qui prêtent à sourire et un festival de clichés qu'aujourd'hui un scénariste n'oserait pas tenter, mais je crois que c'est voulu, parce que d'abord ça correspond à une époque où le public était moins exigeant, d'autant plus que c'était plutôt destiné à un lectorat d'adolescents, mais ça pouvait toucher un public adulte, la preuve, je relis encore les albums que je possède. D'autre part, la BD était présentée comme une BD de distraction, rappelant les BD populaires des années 60.
De son côté, Brocal, à l'aide de son trait puissant et vigoureux, propre aux dessinateurs espagnols qui travaillaient en France dans ces années 70, impose une fantasy à la française très séduisante, c'est le grand atout de la bande, même si la mise en page est très aérée, et le montage serré et rapide, comportant de nombreuses ellipses qui simplifient l'action. J'aime bien le dessin de Brocal qui valorise les personnages masculins toujours très musclés et trapus, et des femmes à la beauté ensorcelante, dans des tenues sexy mettant en valeur leur féminité, mais ça reste sage car comme je le disais, la bande visait surtout un public ado.
Je peux comprendre que cette fantasy à l'aspect naïf et assez macho (c'est aussi caractéristique des dessinateurs espagnols) peut décevoir les adeptes d'une fantasy plus réfléchie, mais qui marquait faut-il le rappeler, les débuts d'un genre qui prendra son envol dans la décennie suivante. Si le dessin de Brocal est déja maîtrisé, c'est qu'il s'est longtemps rôdé dans les petits formats avec des héros musclés, et qu'il avait lancé dans le journal Pilote un an avant Taar, un autre héros du nom d'Arcane, qui était une ébauche assez réussie.
Quoi qu'il en soit, le héros s'en sort toujours dans cette BD (comme beaucoup de héros de la même époque) que ses auteurs ont créée sans prétention, simplement pour le fun. Je conçois que ça puisse ne pas plaire, du reste, la bande n'a pas été comprise à son époque de parution, elle est arrivée trop tôt, elle a pris aussi un risque énorme, c'est de paraître directement en album, sans une prépublication dans Pilote ou un autre journal de BD, ce qui était encore rare en 1976, d'où le fait qu'elle n'a pas obtenu le succès escompté, excepté en Allemagne. Malgré ça, Dargaud a quand même édité une quinzaine d'album, preuve d'un certain intérêt, et je faisais partie des fans.
Ce premier album sert à présenter le personnage, il y délivre la très belle Khanala prisonnière d'un tyran, elle va ensuite devenir la compagne de Taar ; on y voit aussi Stabbar, le sage du village à qui Taar demande toujours conseil. Bref, c'est une BD de pur divertissement qu'il ne faut pas voir comme un simple plagiat de Conan, mais comme une autre alternative, où il ne faut chercher ni profondeur, ni psychologie poussée, qu'il faut juste savourer pour le plaisir des images et de l'aventure fantastique, en quête d'un bon moment de lecture.

Créée

le 27 févr. 2021

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